Le Professeur Christophe Chalamet enseigne la théologie systématique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Il a donné une conférence à Sète le 11 octobre 2025 en matinale des Rencontres du protestantisme de liberté. Il a relevé le défi de la thématique des deux journées : « De quel Dieu sommes-nous athées ? » en s’interrogeant sur la place d’un Dieu impassible dans nos théologies.
À longueur de journée et de vies, nous affirmons et nous refusons quantité de choses. Parfois nous faisons cela collectivement, parfois nous le faisons individuellement, en notre propre nom et en notre seul nom. Aux enfants en bas âge et même plus tard dans leur vie, nous disons « non », en tout cas les parents sont censés leur dire « non » de temps en temps, parfois même fermement, précisément au nom d’un « oui » plus originel que nous voulons leur communiquer de tout notre être : un « oui » en faveur de leur liberté, de la vérité de leur être, de leur bonheur, de la responsabilité qui est la leur et qui est également la nôtre. Quand notre « non » ne s’adosse plus à un tel « oui », nous perdons de vue ce qui sous-tend toute pédagogie digne de ce nom, nous glissons vers une manière d’exercer l’autorité parentale qui relève d’une hétéronomie de mauvais aloi, d’un certain autoritarisme où le sens profond de l’interdiction n’est plus patent, où le « oui » – un « oui » plus fondamental que le « non » et, encore une fois, à partir duquel le « non » est exprimé – s’évanouit.
La confession de la foi chrétienne est un type d’affirmation parmi beaucoup d’autres, avec ses spécificités ses beautés et ses risques. Et il me paraît clair que les affirmations mises en avant dans l’acte de confesser la foi chrétienne recèlent un grand nombre de négations, de refus, parfois explicites, le plus souvent implicites.
1.1. Christopher Morse
Cela a conduit un théologien contemporain d’envergure, mais méconnu dans nos contrées, Christopher Morse, un méthodiste (United Methodist) né en 1935, qui a longtemps enseigné dans un haut lieu de la théologie libérale nord-américaine, à savoir Union Theological Seminary à Manhattan (le séminaire théologique de Reinhold Niebuhr, de Dietrich Bonhoeffer, de Paul Tillich, de Dorothée Sölle et de James H. Cone – excusez du peu !), à esquisser une « dogmatique chrétienne de la non-foi », du disbelief, en miroir des « dogmatiques de la foi chrétienne » qui ont été publiées au fil des siècles et surtout, à vrai dire, en modernité. Le titre de son ouvrage, Not Every Spirit, est une citation de 1 Jean 4,1, où nous lisons ces mots : « Mes bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit (μὴ παντὶ πνεύματι πιστεύετε), mais éprouvez les esprits, pour voir s’ils sont de Dieu ; car beaucoup de prophètes de mensonge se sont répandus dans le monde »[1]. « Tout esprit » n’est pas digne de foi. Tel ou tel esprit ne mérite pas notre foi, ne doit pas susciter notre adhésion, notre allégeance et notre confiance, il doit au contraire faire l’objet de notre refus lucide et délibéré, et pas à moitié, non seulement individuellement mais communautairement !
Ce qui vaut pour la confession de foi ou la foi en les esprits vaut aussi pour notre théologie, c’est-à-dire nos paroles et nos réflexions concernant Dieu, sa Parole, et le monde face à Dieu. Confesser telle ou telle dimension à propos de Dieu, c’est souvent implicitement refuser telle autre dimension. Notre foi, qu’elle soit théiste ou se rapprochant peu ou prou du théisme, est l’envers – et sans doute plus que l’envers, mais aussi l’origine – d’une non-foi, d’un certain a-théisme, c’est-à-dire d’un refus de telles ou telles conceptions de Dieu ou du divin. Le christianisme n’a jamais confessé un Dieu de haine, même s’il a compris en lui-même, déjà dans ses textes normatifs, des affirmations sur la « colère » de Dieu et sa « réprobation » d’êtres humains – affirmations qui nous interpellent et nous interrogent, affirmations qui, pour des raisons diverses, nous choquent bien souvent, et même si, dans les faits, quantité de chrétiens ont témoigné d’un Dieu haineux plutôt que d’un Dieu bienveillant.
1.2. Jean-Jacques Rousseau et la question théologique
Le risque qui nous guette toutes et tous, et qui rend la réflexion théologique à la fois nécessaire et utile, est de nous façonner un Dieu selon nos souhaits et nos désirs : un Dieu plus ou moins « domestiqué », qui répond à toutes nos attentes, selon l’image que nous nous faisons de ce que « doit » être Dieu pour véritablement être Dieu. Or se faire un Dieu à notre image, bien sûr, c’est la définition de l’idolâtrie. C’est aussi la grande critique moderne de la religion et de Dieu, au moins depuis Jean-Jacques Rousseau et son grand texte, la Confession de foi du vicaire savoyard, dans L’Émile ou de l’éducation, un livre paru en 1762 et vite brûlé à Paris comme à Genève. Rousseau écrit dans sa grande apologie de la religion naturelle :
« Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu’est-ce que les hommes nous diront de plus ? Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui donnant les passions humaines. […] Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l’a fait parler à sa mode et lui a fait dire ce qu’il a voulu. Si l’on n’eût écouté que ce que Dieu dit au cœur de l’homme, il n’y aurait jamais eu qu’une religion sur la terre. »[2]
Le déisme de Rousseau a ceci en commun avec le théisme classique que l’attribution de passions humaines au divin « dégrade » ce dernier. Dieu ne se compromet pas avec une réalité mondaine corrompue, dévoyée. Plus encore : les religions « positives », c’est-à-dire fondées sur une révélation, sont autant de manières « de faire parler Dieu », chacune à sa manière, et cela conduit à des débats interminables qui peuvent déboucher, comme on l’a vu aux XVIe, au XVIIe et encore au début du XVIIIe siècles, sur l’intolérance et la violence. Rousseau, citoyen de Genève, a élargi ce que Calvin et d’autres affirmaient à propos de la tendance propre à l’être humain de « fabriquer » des idoles, de se forger des représentations de Dieu[3].
Aucun d’entre nous n’a la garantie de vraiment parler de Dieu, plutôt que de nos représentations de Dieu, de nos images de Dieu. Dès que nous commençons de parler de Dieu, c’est bel et bien nous qui parlons, ce sont nos images de Dieu qui se mêlent à nos réflexions, même lorsque ces dernières cherchent à se fonder sur les écrits bibliques par exemple. Et ces écrits bibliques ne sont eux-mêmes pas « purs » de conceptions, de représentations qui relèvent de la culture antique, bien entendu. Nous avons appris à reconnaître l’inéluctable faillite de tout discours qui se veut théologique[4].
Comment faisons-nous face aux faillites, politiques, sociales et religieuses, qui sont les nôtres, dans nos pays ? Sommes-nous en mesure de reconnaître l’inadéquation de nos réflexions théologiques dans nos contextes respectifs ?
Christophe Chalamet
Mais voilà, il me paraît nécessaire de reconnaître qu’il y a des faillites qui sont pires que d’autres, des faillites qu’il convient d’éviter à tout prix. Tous les jours, nous voyons des exemples de telles faillites, y compris et peut-être surtout dans les grands pays de culture chrétienne comme la Russie ou les États-Unis, mais aussi dans l’État moderne dont les racines remontent au judaïsme ancien, l’État d’Israël. L’orthodoxie russe est en pleine déroute, en plein aveuglement, et le catholicisme et le protestantisme états-uniens ne se portent guère mieux, à certains égards. Quant à l’État d’Israël, ses agissements, en réponse à la terrible attaque subie le 7 octobre 2023, nous consternent et nous bouleversent. Inutile, je pense, d’en dire beaucoup plus sur cette déroute du religieux, du judaïsme et du christianisme, dans ces pays et ailleurs encore. Comment faisons-nous face aux faillites, politiques, sociales et religieuses, qui sont les nôtres, dans nos pays ? Sommes-nous en mesure de reconnaître l’inadéquation de nos réflexions théologiques dans nos contextes respectifs ? Que faire face à cette situation qu’aucun coup de baguette magique, aucun effet du Saint-Esprit ne résoudra ? Un début de réponse se trouve dans la pratique du dialogue critique, où l’on accepte de se poser mutuellement des questions, parfois dérangeantes et déstabilisantes, sur nos discours, nos idées, nos engagements aussi. Les théologiennes et les théologiens sont connus pour être dans le meilleur des cas des adeptes de ce type de dialogues et de débats mutuels. De fait, on trouve presque toujours plus libéral que soi, ou plus conservateur que soi, et donc le débat ne met pas beaucoup de temps à s’enclencher, si les interlocuteurs sont prêts à discuter les uns avec les autres.
Ne croyez pas tous les esprits, dit 1 Jean 4,1. N’accordez pas crédit à tout ce qui vous rencontre et qui a des semblances d’esprit (avec une minuscule ou une majuscule). Il y a donc un « a-théisme croyant », une incrédulité croyante (« a faithful disbelief », dit Christopher Morse). C’estla foi même qui exige cet athéisme, cette incrédulité, de la même manière que c’est la foi même qui est susceptible de nous mettre en chemin vers, espérons, une meilleure intelligence collective et personnelle de ce que nous croyons, de ce en quoi nous croyons, de Dieu en qui nous croyons (credo ut intelligam, « croire pour comprendre »), et donc aussi de ce en quoi nous ne croyons pas, ce en quoi nous refusons délibérément, en connaissance de cause, de croire, c’est-à-dire de placer notre confiance et d’accorder notre allégeance[5].
Selon Morse, l’injonction à ne pas croire n’importe quel esprit conduit les communautés de foi à s’atteler aux questions qui concernent les lignes qui permettent de distinguer entre une confession « croyante » de Dieu, d’un côté, et de l’autre une confession non-croyante de Dieu. Ce faisant la théologie se fait « dogmatique », que ce terme soit utilisé ou non ; Morse n’hésite pas à l’utiliser, y compris dans le sous-titre de son ouvrage : A Dogmatics of Christian Disbelief[6].
Outre 1 Jean 4,1, il y a un autre passage du Nouveau Testament, tiré des synoptiques cette fois, où on lit : « Alors, si quelqu’un vous dit : « Vois, le Messie est ici ! Vois, il est là ! ne le croyez pas » (μὴ πιστεύετε). « De faux messies et de faux prophètes se lèveront et feront des signes et des prodiges pour égarer, si possible, même les élus » (Marc 13,21-22 ; cf. les parallèles en Mathieu 24,23-24 et Luc 17,23)[7]. « Ne le croyez pas ! » Discernez ce à quoi doit s’attacher votre foi, ou, exprimé négativement, repérez ce à quoi votre foi, votre loyauté, ne doit surtout pas s’attacher ! Ne soyez pas simplement des « crédules », soyez « incrédules » de tout esprit qui ne donne pas les gages de l’Esprit Saint, c’est-à-dire du Souffle de vie qui vient de Dieu et qui relève de l’être de Dieu !
Ainsi, n’interprétons pas le verset de I Corinthiens 13,7, concernant l’amour-agapè qui « croit tout » (πάντα πιστεύει), comme si l’apôtre recommandait de tout croire, d’accorder du crédit à tout ce qui nous rencontre, à tout ce qui sollicite notre adhésion et notre loyauté. Cela serait de toute manière impossible, proprement inhumain. Reconnaissons plutôt que Paul nous appelle à pratiquer l’agapè qui est traversé de foi et animé par la foi, et ce en toute situation, en toute occasion[8]. L’hymne à l’agapè en 1 Co 13 ne lève en rien ce que Jan Assmann a appelé « la distinction mosaïque », c’est-à-dire cette « idée régulatrice » qui, dans d’innombrables passages des écrits bibliques (et pas seulement dans l’Ancien Testament ou dans la Bible hébraïque !), pose une séparation radicale entre le vrai Dieu, le Dieu un, le Dieu unique, qui doit être objet de notre vénération et notre culte, et tous les faux dieux qui prétendent remplacer et supplanter Dieu[9].
« Eh bien ! qu’est-ce que j’aime quand j’aime Dieu ? » « quid autem amo, cum te amo ? »
Augustin
Comment se pose la question théologique, celle d’une parole humaine sur Dieu ? Il s’agit avant tout de nous poser la question de Dieu en qui nous mettons notre confiance. Qui est ce Dieu ? Pour parler comme Augustin d’Hippone : « Eh bien ! qu’est-ce que j’aime quand j’aime Dieu ? » (« quid autem amo, cum te amo ? »)[10]. Une palette de réponses est possible. Le temps est passé où chaque théologien d’envergure martelait ce qu’il estimait être la représentation incontournable de Dieu pour tout un chacun. Il y a longtemps eu un discours théologique extrêmement normatif, dont nous sortons il me semble. Les fronts théologiques s’en trouvent floutés, et ça n’est peut-être pas une mauvaise chose, car c’était une absurdité, au milieu du siècle dernier, de penser que l’on devait être soit tillichien, soit bultmannien, soit barthien, soit bonhoefferien, soit partisan de la théologie du Process, de la théologie herméneutique ou de la « mort de Dieu ».
Une intention a d’ailleurs réuni bon nombre de ces écoles : celle qui vise à dépasser le théisme classique, avec son Dieu quasiment « défini » et qui possède en propre une série d’attributs (Eigenschaften). La théologie protestante s’est distinguée d’autres courants théologiques, catholiques ou orthodoxes, en reprenant à nouveaux frais la question de Dieu et de ses « attributs » ou « perfections », afin de donner droit à un certain apophatisme, à une certaine dimension de mystère qui nous rappellent l’inadéquation de nos pensées et de nos discours : « C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins – oracle du Seigneur. C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées » (Ésaie 55,8). Ce sera une bien piètre théologie, protestante ou autre, libérale ou non, qui perd de vue ce que le prophète Esaïe exprime ici. Aucune théologie, qu’elle soit de type conservatrice ou progressiste, n’est à l’abri de la tentation d’une pensée figée et « figeante » à propos de Dieu, une pensée qui appréhende Dieu comme on appréhende un suspect, en lui mettant la main dessus. D’une certaine manière, ce qu’Esaïe dit dans ce célèbre passage, c’est que tout n’est pas Dieu dans ce monde. Nous sommes à mille lieues de tout panthéisme, ici, voire, ce qui sera plus troublant pour certaines et certains, d’un certain panenthéisme[11]. Il y a les pensées de Dieu et celles du monde, les chemins de Dieu et ceux du monde. Si tout dans ce monde n’est pas Dieu, alors la question de ce qui n’est pas divin et de ce qui n’est pas de Dieu se pose immanquablement, et crucialement[12].
Croyons-nous vraiment en Dieu, ou nous sommes-nous fabriqués, au fil des siècles du déploiement de la théologie chrétienne, une idole caractérisée par la perfection, l’omniscience, l’omniprésence, l’immutabilité et l’impassibilité ?
Christophe Chalamet
Croyons-nous vraiment en Dieu, ou nous sommes-nous fabriqués, au fil des siècles du déploiement de la théologie chrétienne, une idole caractérisée par la perfection, l’omniscience, l’omniprésence, l’immutabilité et l’impassibilité ? La théologie protestante, notamment allemande, du milieu du XXe siècle a beaucoup combattu le « théisme », mais aussi le problème de la théodicée auquel le théisme donne lieu tôt ou tard. La théologie du Process a fait de même, elle a elle aussi combattu le théisme classique. Devons-nous continuer cette bataille ? Cet effort fait-il sens aujourd’hui encore ?
1.3. Athènes et Jérusalem
La théologie chrétienne ne doit sans doute pas systématiquement s’opposer au Dieu des philosophes, au Dieu du théisme, mais elle doit par contre à chaque fois, sur chaque point, se demander si telle ou telle représentation de Dieu qui relève du Dieu des philosophes et du théisme correspond ou non au Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus-Christ. Une convergence entre les représentations de Dieu est-elle possible ? Dans son Traité de la prescription contre les hérétiques, Tertullien, théologien nord-africain converti au christianisme à la fin du IIe siècle, déjà posait la célèbre question : « quoi de commun entre Athènes et Jérusalem ? »[13] Quel rapport entre la raison grecque et la foi biblique ? Y a-t-il convergences des deux sur certains points, voire sur l’essentiel, ou alors la raison, grecque, romaine ou autre, et la foi biblique se trouvent-elles dans une relation de tension réciproque inévitable et indépassable ? On sait que la théologie chrétienne a répondu de diverses manières à ces questions, parfois en soulignant l’harmonie foncière entre raison et foi, qui s’imbriquent et se complètent (comme dans le modèle thomasien, où la grâce vient parachever ce que la nature perçoit et comprend), parfois en postulant une critique de la part de la raison à l’endroit de la foi biblique (un geste très moderne, que l’on voit par exemple dans certains écrits de Kant comme Le conflit des facultés, publié en 1798), ou alors, dans le sens inverse, comme un questionnement radical qui vient de la foi biblique en direction de la raison. Les protestants se situent souvent plutôt dans le second camp, celui d’une relative tension entre foi et raison ou entre raison et foi, même si la théologie chrétienne cherche constamment à montrer en quoi la foi n’est pas absurde, n’est pas en contradiction pure et simple avec la raison et l’entendement humain, même si elle ne laisse pas la raison et l’entendement indemnes. Toute théologie chrétienne digne de ce nom, mais aussi toute ecclésiologie adossée à la théologie, cherche en effet à rendre compte (λόγον) de l’espérance qui habite, plus ou moins difficilement, plus ou moins sereinement, les croyants (1 Pierre 3,15).
2. Déplacements récents dans la représentation de Dieu – l’impassibilité divine
En Occident et probablement au-delà aussi, nous avons opéré une bascule très significative, en théologie chrétienne et surtout en théologie protestante, en un siècle. Les représentations de Dieu se sont déplacées rapidement et profondément en 100 ans. Mon propos ne cherche pas tant à analyser les raisons de ces modifications ou les points sur lesquels de profondes évolutions sont décelables qu’à interroger l’une d’entre elles, à savoir l’idée d’une impassibilité de Dieu, de Dieu au-delà de tout « subir », de tout « être affecté » par quoi que ce soit de mondain.
Cette notion était encore assumée sans grande discussion par l’un des pères historiques de la théologie libérale, à savoir le réformé Friedrich Schleiermacher – qui, comme théologien dogmatique et doctrinal, n’est d’ailleurs pas aussi « libéral » qu’on le pense parfois. Schleiermacher est probablement le plus grand théologien dogmatique protestant entre les réformateurs du XVIe siècle et les figures de proue du début du siècle dernier (Tillich, Brunner, Bultmann, Barth) et leurs successeurs de la seconde moitié du XXe siècle.
Schleiermacher développe une théologie des attributs divins très soigneusement élaborée et structurée, fondée, de manière très personnelle et novatrice, dans le « sentiment de complète dépendance » (dasGefühl schlechthinniger Abhängigkeit). Mais l’impassibilité demeure une affirmation essentielle au sujet de Dieu, à ses yeux. Tout son système théologique s’écroulerait d’ailleurs s’il envisageait la possibilité pour Dieu de recevoir ou d’être affecté par le créé. Le « sentiment de complète dépendance » disparaîtrait purement et simplement s’il y avait à la fois une activité et une réceptivité en Dieu. Il ne peut y avoir que de l’activité de la part de Dieu vis-à-vis du créé[14]. Il est donc impossible d’attribuer à Dieu « des mouvements de sensibilité suscités par la souffrance d’autrui et susceptibles de le décider à venir à notre secours ». Ce type de représentation de Dieu n’a pas sa place dans une théologie dogmatique qui se veut rigoureuse. Schleiermacher relègue ainsi le thème de la miséricorde de Dieu à l’homilétique et à la poésie (Der christliche Glaube, § 85). « L’entité que Schleiermacher appelle la cause du sentiment de dépendance absolue n’a pas de cœur. »[15]
Pouvoir changer, pouvoir subir et souffrir, pouvoir être affecté par une réalité quelconque, y compris par moi-même, voilà qui peut être dit (ou prédiqué) des êtres corruptibles, mais certainement pas des réalités incorruptibles que sont les réalités ultimes.
Christophe Chalamet
Il faut attendre d’autres penseurs protestants, au XXe siècle, souvent des luthériens, pour voir émerger une critique, pointue, de certains attributs divins « classiques ». Je pense notamment à Dietrich Bonhoeffer, dont les réflexions pendant sa captivité laissent entrevoir le congé qu’il donne à certaines représentations traditionnelles, mais plus hellénistiques et philosophiques que bibliques, de Dieu.
La culture hellénistique affirme presque d’une seule voix l’immutabilité et l’impassibilité de toute réalité incorruptible, c’est-à-dire de la réalité ultime dans l’échelle des êtres. Pouvoir changer, pouvoir subir et souffrir, pouvoir être affecté par une réalité quelconque, y compris par moi-même, voilà qui peut être dit (ou prédiqué) des êtres corruptibles, mais certainement pas des réalités incorruptibles que sont les réalités ultimes. Si ces réalités ultimes peuvent changer, ça ne serait que pour le pire, pour une « corruptibilité », et donc ces réalités ultimes sont proprement immuables. Cette immutabilité relève de leur perfection et de leur incorruptibilité. Être parfait, cela signifie forcément être immuable et impassible. Voilà les coordonnées de la question de l’impassibilité telles qu’elles ont été reprises par la théologie chrétienne aux premiers siècles du christianisme. Pas étonnant que l’on ait interprété le développement de la théologie chrétienne comme une « hellénisation » de la foi juive non-dogmatique et non-substantialiste de Jésus de Nazareth et des premiers disciples, même si, à certains égards qu’il ne faut pas ignorer, la théologie chrétienne ne s’est pas contentée d’« helléniser » l’enseignement de Jésus-Christ et des premiers disciples, car elle a également « christianisé » certaines données typiquement hellénistiques (la doctrine de l’incarnation ou de la kénose sont deux exemples qui viennent immédiatement à l’esprit)[16]. Il n’empêche que la théologie patristique, sur laquelle je reviendrai bientôt, a souvent attribué la passibilité à la seule nature humaine de Jésus-Christ, pour préserver sa divinité de toute passibilité, qui ne « conviendrait » pas à Dieu, qui serait « inconvenante » lorsqu’il est question de Dieu.
3. La percée opérée par Martin Luther en 1518
La théologie réformatrice n’a pas attendu longtemps avant de mettre en question ce type de représentation de Dieu ou du divin.
En avril 1518 et donc à l’orée même de la révolution réformatrice, Martin Luther, lors de la Dispute de Heidelberg, s’en prit frontalement à une conception théologique basée sur les attributs ou les « choses invisibles » de Dieu[17]. Il oppose une théologie de la gloire à une théologie de la croix (theologia gloriae et theologia crucis).
Martin Luther oppose une théologie de la Gloire à une théologie de la Croix
Christophe Chalamet
Luther préface ses propositions avec ces mots : « Ayant une totale défiance de nous-même, selon le conseil de l’esprit : « Ne t’appuie pas sur ta sagesse », nous offrons humblement au jugement de tous ceux qui voudront être présents les paradoxes théologiques suivants, afin que l’on voie clairement s’ils sont, à bon ou à mauvais droit, tirés du divin Paul, vase et organe du Christ élu entre tous, ainsi que de saint Augustin, son interprète le plus fidèle. »[18] On peut sourire quelque peu en lisant ces mots, car ce que proposa Luther lors de cette Dispute théologique ne consonait pas forcément avec les écrits d’Augustin d’Hippone. Mais un frère augustinien comme Luther se devait sans doute d’invoquer la figure fondatrice de l’ordre auquel il appartenait, d’autant que la dispute se tenait « chez les augustins de cette illustre cité de Heidelberg »[19].
Luther prône le renversement suivant : « On ne peut appeler à bon droit théologien celui qui considère que les choses invisibles de Dieu peuvent être saisies à partir de celles qui ont été créées […]. Mais plutôt celui qui saisit les choses visibles et inférieures de Dieu en les considérant à partir de la passion et de la croix. »
Pour le religieux allemand, « les choses invisibles de Dieu sont la force, la divinité, la sagesse, la justice, la bonté, etc. ; La connaissance de toutes ces choses ne rend digne ni sage » (commentaire de la proposition 19). Il s’agit plutôt d’envisager « les choses visibles et inférieures de Dieu en les considérant à partir de la passion et de la croix ». Or ces « choses inférieures et visibles de Dieu sont les opposées des invisibles ; ce sont l’humanité, la faiblesse, la folie, comme I Corinthiens 1 appelle la faiblesse et la folie de Dieu. En effet, parce que les hommes ont abusé de la connaissance de Dieu tirée de ses œuvres, Dieu a voulu au contraire être connu par ses souffrances […] » (commentaire de la proposition 20)[20]. Vous voyez qu’il n’est pas question ici des seules souffrances de Jésus-Christ, le crucifié, et encore moins dans sa seule nature humaine. Non seulement c’est le Christ qui souffre, lui qui est une seule personne, mais en lui Dieu même souffre : « Dieu a voulu être connu par ses souffrances ».
« De telle sorte qu’il n’est suffisant ni profitable à personne de connaître Dieu dans sa gloire et sa majesté, s’il ne le connaît pas aussi dans l’humilité et l’ignominie de la croix. […] C’est en Christ crucifié qu’est la vraie théologie et la connaissance de Dieu »[21]. « […] L’on ne trouve pas Dieu, sinon dans les souffrances et la croix » (commentaire de la proposition 21)[22].
Tout cela ne signifie pas encore que Luther adopte la perspective d’une passibilité de Dieu. Il affirme sans ambiguïté la souffrance du Christ, et donc sa passibilité, mais il reste clair concernant l’être de Dieu, qui, selon lui, demeure impassible, même si Dieu ne semble pas être dissociable de la souffrance du Fils crucifié, même si Dieu s’associe en quelque sorte à cette souffrance.
Luther n’a pas simplement voulu réformer l’Église. Il a également voulu réformer la théologie.
Christophe Chalamet
Avec ces thèses Luther bouleverse profondément, et salutairement, les paramètres mêmes de la théologie chrétienne. La théologie chrétienne a très souvent adopté et développé une conception « directe », non-interrogée, non-brisée, non — « évangélisée », des notions de « gloire » ou de « puissance » (voire de « toute-puissance ») divine. Que deviennent de telles notions, et d’autres encore comme celle de l’immutabilité et l’impassibilité, quand on prend au sérieux les thèses de Luther de 1518, quand on modifie les paramètres mêmes de la théologie chrétienne, quand les règles de la grammaire sont chamboulées, comme elles le sont ici ? Tout s’en trouve transformé, renversé. Rien n’est plus comme avant. Une sorte de metanoia théologique a eu lieu, dont il s’agit de déployer toutes les implications, les incidences. L’histoire de la théologie protestante est l’histoire de ce déploiement, certainement pas linéaire, sans revers, sans retours en arrière, sans trahisons, sans crainte d’aller trop loin dans le renversement.
Luther n’a pas simplement voulu réformer l’Église. Il a également voulu réformer la théologie. Mieux : la réformation de l’Église était concomitante avec le projet d’une réformation de la théologie chrétienne. Non seulement ecclesia, mais aussi theologia reformata atque semper reformanda ! « Reformanda » pas seulement à partir de nouvelles donnes culturelles et sociales, même si ces dernières jouent toujours et doivent être prises en compte, travaillées, thématisées, interprétées, mais aussi et surtout à partir de « l’événement Jésus de Nazareth/Jésus-Christ » dans toutes ses dimensions.
Luther lui-même a maintenu l’impassibilité divine au moment même où il appelle à un recentrement de la théologie tout entière, la théologie, sur l’événement de Vendredi Saint. Penser Dieu à partir du crucifié-ressuscité, voilà le cœur de la théologie luthérienne, comme de la théologie paulinienne longtemps auparavant.
Ce reste d’impassibilité en Dieu, voilà précisément ce que la théologie protestante récente et contemporaine conteste souvent (même s’il y a bien sûr toujours des avocats de l’impassibilité divine, y compris parmi les protestants).
Aux yeux de Luther, l’affirmation de l’impassibilité ou de la passibilité de Dieu n’est pas l’enjeu décisif, car de tels énoncés restent flous. On ne doit pas parler de « Dieu » tout court, de manière abstraite. Dieu tel que confessé par les chrétiens est Dieu dans la chair. Dieu n’est pas « passible » de manière abstraite, Dieu est passible avant tout dans la chair du Christ, Jésus de Nazareth. C’est là que Dieu se donne à connaître, c’est en lui que Dieu s’envisage et que Dieu fait l’apprentissage de la souffrance[23].
4. Dieu passible et témoignage scripturaire
Le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus de Nazareth, le Christ, n’est pas un Dieu impassible. Cela, le témoignage scripturaire me paraît le dire, et pas seulement par souci d’accommodation à la débilité de nos entendements. Comment un Dieu impassible peut-il être un Dieu qui écoute, qui entend le cri de son peuple, de sa création, comment peut-il être le Dieu qui se réjouit de son œuvre créatrice, mais aussi de la démarche d’obéissance d’Abraham (Genèse 12,1-3), si son essence est impassible ? Comment pouvons-nous penser le Dieu de l’alliance, si aucune réciprocité n’est concevable entre Dieu et son peuple ? Seul un Dieu qui se laisse atteindre par sa création est un Dieu vers qui prier et crier, devant qui danser, vers qui faire monter notre lamentation, nos pétitions et notre louange.
Le Dieu impassible de Schleiermacher n’est pas un Dieu dont la miséricorde fait partie des qualités essentielles.
Christophe Chalamet
Le Dieu impassible de Schleiermacher n’est pas un Dieu dont la miséricorde fait partie des qualités essentielles. Par conséquent, la prière, selon Schleiermacher, est avant tout un consentement de la part de l’être humain à la volonté divine, à l’image de Jésus au jardin de Gethsemané qui en vient à dire : « Non pas ma volonté, mais ta volonté ». Voilà l’essence même de la prière, aux yeux du grand théologien berlinois, qui paraît plus proche du stoïcisme que de l’Évangile sur ce point tout sauf anodin. Car la prière est bien plus riche et diverse que cela, mais pour le comprendre il faut une conception très différente de Dieu que la conception que s’en fait Schleiermacher dans son grand traité doctrinal. Le Dieu de Schleiermacher semble être prisonnier de son impassibilité, ce qui est surprenant de la part d’un penseur que l’on présente souvent comme l’un des pères de la théologie dite « libérale » ! Le Dieu de Schleiermacher n’a pas l’air d’être très libre, ou très « libéral ». Alors que le Dieu de Karl Barth, qu’on a souvent perçu comme un « néo-orthodoxe », ennemi du libéralisme théologique, affirme haut et fort la « libéralité » de Dieu jusque dans l’humilité et la souffrance ! Barth aimait parler de lui-même et se présenter comme un théologien « plus » libéral que nombre de libéraux, et nettement moins « néo-orthodoxe » qu’on voulait le penser…
Vous voyez qu’il y a débat, un débat interne au christianisme, et interne également au protestantisme en modernité. Il n’est pas nécessaire de nous écharper sur cette question. Une discussion, un débat, suffira !
5. Débats christologiques en théologie patristique et implications théologiques (ou patrologiques)
La question du Dieu impassible ou passible est à bien des égards une discussion qui concerne la figure de Jésus-Christ. Après tout, dans le quatrième évangile, Jésus dit : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9). Pouvons-nous, devons-nous, tenir compte de ce verset lorsque nous lisons, dans les évangiles et dans le Nouveau Testament, que Jésus fut bouleversé jusque dans ses entrailles, dans telle ou telle situation, lors de telle ou telle rencontre, ou lorsque l’apôtre Paul parle des « entrailles du Christ Jésus » (Épître aux Philippiens 1,8) ?
Pouvons-nous ignorer le fait que le Nouveau Testament parle non seulement des entrailles de miséricorde du Christ, de Jésus de Nazareth, mais aussi des « entrailles de Dieu » (διὰ σπλάγχνα ἐλέους θεοῦ ἡμῶν ; Luc 1,78) ?
Peut-on, en interprétant de tels passages, y compris l’affirmation de Jean 14, conclure que lorsque Jésus souffre, le Père lui aussi souffre ? Jürgen Moltmann a refusé de tenir à distance Dieu comme Père par rapport à la souffrance du Fils. Le Fils, Jésus de Nazareth, meurt crucifié. Cela ne signifie pas que le Père et l’Esprit meurent eux aussi sur la croix. Mais le lien d’amour qui unit le Père au Fils, lien manifesté dans les récits synoptiques du baptême de Jésus, conduit bien des théologiennes et théologiens actuels à postuler une souffrance de Dieu en lien avec la passion de Jésus, le Christ. Christ crucifié, certes, mais, d’une certaine manière aussi, sans doute distincte du crucifié, mais en rapport intime avec lui, Dieu jamais crucifiant, mais Dieu crucifié.
Paul Gavrilyuk s’est lancé dans une remarquable enquête de la théologie patristique sur la question de la souffrance de Dieu après avoir lu le grand livre de Jürgen Moltmann, Le Dieu crucifié, un livre qui lui paraissait problématique. Il a analysé comment, déjà en théologie patristique, face aux « impassibilistes » radicaux (les docètes, les ariens et les nestoriens), on en est venu à parler de manière paradoxale de « la souffrance de celui qui est impassible » (« the impassible suffered »)[24].
Déjà dans son premier grand livre, la Théologie de l’espérance (1964), Jürgen Moltmann refusait deux approches théologiques : la première chercher à « accéder au mystère de Jésus » en partant de « l’universel, pour, ensuite le faire parvenir à sa vérité dans le concret de sa personne et de son histoire »[25]. Cette première option part de « l’idée générale de Dieu de la métaphysique grecque »[26]. La seconde option, elle, commence avec « une notion générale de la condition humaine […] que Dieu fait parvenir à sa vérité et qui ainsi se vérifie »[27]. Moltmann se démarque de ces deux approches pour commencer par « le concret » de la personne et de l’histoire de Jésus de Nazareth. Or cela signifie qu’il faut tenir compte de l’Ancien Testament : la loi et la promesse vétérotestamentaire doivent être présupposées si nous cherchons à comprendre « l’accès de Jésus à tous les humains »[28]. Moltmann est donc de l’avis que « la voie de la connaissance théologique va irréversiblement du particulier au général, de l’historique à l’universel eschatologique »[29]. Nous pouvons lire une telle phrase au sens fort du mot « théologique » : la connaissance de Dieu, pour la foi chrétienne, s’enracine dans une connaissance de l’action et de la personne de Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu. C’est en regardant à lui que nous considérons Dieu, sans omettre la distinction qui demeure entre le Fils et le Père. Le Fils n’est pas le Père ; mais dans son ministère, dans et par sa vie il manifeste le Père.
6. Passibilité de Dieu et notre passibilité humaine
Nos discours sur Dieu sont quasiment toujours simultanément des discours sur l’être humain. La théologie protestante a reconnu cela dès ses débuts ou presque, comme on le voit dans le commentaire que fait Luther du premier commandement, comme on le voit également dans les premières pages de l’Institution de Calvin, comme on le voit bien plus récemment dans les travaux de Rudolf Bultmann et de bien d’autres.
Je tiens donc à réfléchir avec vous sur le rapport entre passibilité divine et passibilité humaine. Pas tant pour en venir à quelque chose de plus concret – car en parlant ainsi on présuppose, un peu rapidement, que le concret, c’est nous, c’est le monde, alors que Dieu serait l’abstrait, l’éthéré, un présupposé qui pourrait s’avérer erroné – mais plutôt pour faire droit à la nécessaire et utile articulation entre discours sur Dieu et discours sur l’être humain et son monde.
« Au sens où Jésus en parle, la miséricorde est la chose décisive et que la disposition d’esprit dans laquelle elle est exercée est aussi garante de l’attitude religieuse correcte ».
Adolf Harnack
La Bible nous enjoint à diverses reprises d’imiter Dieu (Luc 11,44-45 ; 19,2 ; Luc 6,36 ; Lettre aux Éphésiens 5,1 ; 1 Pierre 1,16). Cette injonction nous perturbe parfois, mais elle résonne encore et toujours, dans les écrits qui fondent le judaïsme et le christianisme.
La théologie dite « libérale » n’a pas pu éluder cette question. L’une de ses grandes figures au tournant du XXe siècle, Adolf Harnack, écrit à ce sujet dans son grand livre L’essence du christianisme, à propos de la parabole des brebis et des béliers (Mathieu 25,31-46) : « On ne saurait dépeindre plus clairement que, au sens où Jésus en parle, la miséricorde est la chose décisive et que la disposition d’esprit dans laquelle elle est exercée est aussi garante de l’attitude religieuse correcte. Pourquoi ? Parce que, dans l’exercice de cette vertu, les êtres humains sont des imitateurs de Dieu : « Soyez miséricordieux comme votre Père au Ciel est miséricordieux » (Luc 6,36). Qui fait preuve de miséricorde exerce le droit souverain de Dieu ; car la justice de Dieu ne s’accomplit pas selon la règle œil pour œil, dent pour dent mais est placée sous le pouvoir de sa miséricorde. »[30]
Imiter Dieu, cela signifie imiter le Dieu miséricordieux, qui entend le cri de son peuple asservi ou de son prophète au désert, Élie, qui n’en peut plus et qui veut mourir (I Romains 19,4-8). Si le psalmiste nous annonce que « le Seigneur est près des cœurs brisés, et il sauve les esprits abattus » (Psaumes 34,19), c’est parce que Dieu même, Dieu déjà entend les soupirs et les gémissements qui montent de sa création et de son peuple élu.
La miséricorde de Dieu est la « participation » de Dieu « à la misère de la créature » en vue de l’abolition de cette misère. Qui dit miséricorde dit « présence réelle de Dieu à la détresse de ses créatures, présence, impliquant elle-même le refus de cette détresse, la volonté de l’abolir. »[31] Il y a plus ici qu’une « condescendance » qui n’implique « aucune participation » et qui serait « dénuée de toute efficacité »[32].
Si Dieu est Dieu, alors que nous sommes des créatures, pouvons-nous imaginer que la passibilité qui est celle de Dieu soit identique à la nôtre ? Bien sûr que non !
Christophe Chalamet
Divers théologiens ont été, et sont encore aujourd’hui, effrayés par l’anthropomorphisme qui affleure ici. Et quasiment toute la tradition théiste classique exprime une aversion vis-à-vis de ces idées. Il me semble que nous devons nous détourner d’une telle aversion et reconnaître la justesse et le caractère indispensable de telles affirmations concernant la miséricorde de Dieu. En latin comme en français et en allemand (Barmherzigkeit), le mot même de miséricorde exprime un mouvement du cœur (cor/cœur/Herz), en l’occurrence, le cœur même de Dieu.
Mais pouvons-nous plaquer ou transférer sans autre forme de procès la miséricorde divine sur la miséricorde dont peut faire preuve l’être humain – et réciproquement ? Comment penser une articulation entre passibilité humaine et divine qui n’annule pas toute distinction entre les deux ? Si Dieu est Dieu, alors que nous sommes des créatures, pouvons-nous imaginer que la passibilité qui est celle de Dieu soit identique à la nôtre ? Bien sûr que non !
Cherchons donc à discerner en quoi notre passibilité humaine peut ressembler à celle de Dieu, sans lui être identique pour autant. Ici comme partout ailleurs en théologie, c’est bien le langage analogique qui est de mise : un langage qui cherche à voir ce qu’il peut y avoir de ressemblance(s) entre Dieu et le monde, sans lever pour autant toute différence entre le Créateur et la créature.
« Tout ce que Dieu est et accomplit, est déterminé et caractérisé par le fait qu’il y a en lui, ou plutôt qu’il est lui-même tout entier, un seul et même mouvement de sympathie, qui le porte à l’avance à s’ouvrir à la souffrance, à la détresse et à la peine d’autrui.
Karl Barth
Voici une première option dans cet effort. Elle consiste à dire que, « en vérité, Dieu est ému et touché », mais « non pas comme nous autres, qui sommes sans vrai pouvoir, mais dans le cadre de son libre pouvoir, en son être le plus intime : il est capable de s’émouvoir lui-même, c’est-à-dire de s’ouvrir à la souffrance d’autrui, d’aller au-devant d’elle (propensus) pour la partager, la soulager et intervenir personnellement contre elle. Il ne peut s’agir en lui que de sympathie, de libre solidarité avec une souffrance qui lui est étrangère. En lui-même, Dieu ne trouve aucune souffrance. Et rien en dehors de lui ne saurait le faire souffrir, si dans sa liberté il ne veut pas. C’est de la sympathie de Dieu, de sa libre sympathie qu’il est question dans le témoignage scripturaire. […] Tout ce que Dieu est et accomplit est déterminé et caractérisé par le fait qu’il y a en lui, ou plutôt qu’il est lui-même tout entier un seul et même mouvement de sympathie, qui le porte à l’avance à s’ouvrir à la souffrance, à la détresse et à la peine d’autrui – de sorte que ses paroles et ses actes de compassion ne relèvent pas d’une attitude qu’il adopte après coup, en fonction des difficultés subies par ses créatures, mais se trouvent fondés dans son cœur, dans son être et dans sa vie divine. »[33]
La souffrance à laquelle Dieu s’ouvre et consent ne fait pas de Dieu le pur jouet de nos actions. La souveraineté de Dieu n’est pas annulée par sa démarche kénotique, même si cette démarche reconfigure, radicalement, pour nous le sens de cette souveraineté[34]. « À la différence de tous ceux qui affectent la créature, les mouvements de la sensibilité divine ont leur origine en Dieu lui-même. À ce titre, ils ne sauraient être niés ! »[35]
Dieu ne souffre pas contre sa volonté, mais consent délibérément à souffrir avec et pour celles et ceux que Dieu aime[36]. Sa souffrance ne détourne pas Dieu de son intention ou de sa visée, elle accomplit au contraire sa visée[37]. Il y a donc une activitéde Dieu au cœur même de son consentement à la passivité[38].
Nous ne sommes pas Dieu, nous sommes des créatures, inévitablement soumises à la vulnérabilité, plutôt que libres de s’engager dans un chemin qui est marqué par la vulnérabilité. Mais en tant que chrétiens nous sommes à la fois appelés à consentir à la vulnérabilité à laquelle nous sommes en quelque sorte condamnés, et aussi à agir dans le monde afin de protéger autrui, et nous-mêmes de toute violence qui bafoue la dignité de l’être humain et du créé en tant que créé. Il y a toujours concomitance du subir et de l’agir dans nos vies, et ce jusqu’à notre dernier souffle. Ne mésestimons pas cette concomitance, le fait que subir et agir vont toujours de pair, n’oublions pas que même dans les situations extrêmes ou l’agir semble avoir peu ou prou disparu – on peut penser par exemple aux camps de la mort de l’Allemagne nazie – il a été possible de maintenir, même de manière tout à fait ténue, quasi invisible, une action, y compris une action liturgique, qui cherchait à maintenir le lien avec le Créateur, qui cherchait à honorer la dignité de la personne humaine et de la communauté humaine, et ce au cœur de l’enfer mis en œuvre par l’état totalitaire nazi. Où que nous vivions, quoi que nous traversions, ne nous résignons jamais à n’être que les jouets du destin. Nous sommes des êtres vulnérables, et nous sommes appelés, au cœur même de cette vulnérabilité et sans jamais la nier, à agir de manière à servir Dieu et notre prochain dans le sens de l’agapè, à mettre notre confiance en Dieu, à espérer en Dieu et pour notre monde.
Mais l’inverse n’est pas moins vrai et important : alors qu’une série d’hommes politiques se posent en hommes d’action en faisant fi de l’énorme vulnérabilité tant de leur pouvoir politique personnel que de leur État (toutes proportions gardées, pensez aux attentats du 11 septembre 2001, pensez aux attentats du 7 octobre 2023, pensez à la situation politique en France ces derniers mois), parviendrons-nous, dans nos sociétés, mais aussi du côté de nos pouvoirs politiques, à assumer, à intégrer, à reconnaître le fait indubitable de nos vulnérabilités sociales, collectives, politiques ?
Nos démocraties ont besoin d’un récit qui articule l’ambivalence de nos existences collectives et individuelles, plutôt qu’un simple récit moderne du progrès ou de la catastrophe à venir.
Christophe Chalamet
Nier la perte, ou l’absolutiser, c’est nous condamner à l’aveuglement. Intégrer la perte dans nos récits de vie personnels et sociaux, c’est apprendre à vivre avec elle, sans la banaliser. Nos démocraties ont besoin d’un récit qui articule l’ambivalence de nos existences collectives et individuelles, plutôt qu’un simple récit moderne du progrès ou de la catastrophe à venir. Comme l’écrit le sociologue Andreas Reckwitz dans le New York Times du 5 octobre 2025 (« The West I Lost ») : « Faire face à la vérité avec ouverture d’esprit, accepter la fragilité et intégrer la perte à l’imaginaire démocratique pourrait, en réalité, être la condition préalable à sa vitalité. Si nous avons un jour rêvé d’abolir la perte, nous devons maintenant apprendre à vivre avec. Si nous y parvenons, ce sera un pas vers la maturité. Et cela pourrait devenir une forme de progrès plus profonde. » Nous vivons dans des sociétés qui veulent réduire la perte au maximum, nous sommes effrayés par la perspective de la perte, mais ce faisant nous ne faisons qu’accélérer le processus qui conduit à la perte : la perte du vivant dans sa pluralité, sa diversité et sa richesse, par exemple. Consentir à la perte, paradoxalement, pourrait nous aider à réduire la destruction que nous provoquons de par notre refus instinctif, épidermique, de toute perte.
7. Conclusion – connaître et être connu
« Il y a deux athéismes, dont l’un est une purification de la notion de Dieu », écrivait Simone Weil.[39] Cette purification n’est jamais terminée, elle est toujours à reprendre, collectivement.
Quand nous sommes intéressés, de près ou de loin, par la théologie, et quand nous nous reconnaissons comme des modernes, nous pouvons être enclins à souligner notre connaissance, humaine, de Dieu, le fait que nous réfléchissons à cette connaissance, ses modalités, ses contours.
Être connu de Dieu – voilà ce qui peut nous porter dans nos vies, alors même que nous pouvons avoir le sentiment de ne guère connaître Dieu, ou alors de bien mal le connaître.
Christophe Chalamet
Il n’est pas inintéressant de nous rappeler ce qu’écrit l’apôtre Paul dans l’épître aux Galates : « Jadis, quand vous ne connaissiez pas Dieu (οὐκ εἰδότες θεὸν), vous étiez asservis à des dieux qui, de leur nature, ne le sont pas, mais maintenant que vous connaissez Dieu (νῦν δὲ γνόντες θεόν), ou plutôt que vous êtes connus de lui (μᾶλλον δὲ γνωσθέντες ὑπὸ θεοῦ), comment pouvez-vous retourner encore à des éléments faibles et pauvres, dans la volonté de vous y asservir (δουλεύειν) de nouveau ? » (Ga 4,8-9).
Être connu de Dieu – voilà ce qui peut nous porter dans nos vies, alors même que nous pouvons avoir le sentiment de ne guère connaître Dieu, ou alors de bien mal le connaître. Les débats internes à la théologie protestante moderne indiquent la difficulté qui est la nôtre à connaître Dieu, à reconnaître Dieu. Mais cette théologie a suivi un chemin fécond, il me semble, chaque fois qu’elle a mis en évidence le caractère miséricordieux de Dieu, lorsqu’elle a parlé du cœur même de Dieu, de son action en Jésus de Nazareth, le Christ, et dans l’Esprit divin qui souffle où il veut. « Dieu sera toujours pitoyable pour recevoir les pauvres pêcheurs à merci quand ils auront leur refuge au pardon qui leur a été promis. »[40]
[1] Christopher Morse, Not Every Spirit. A Dogmatics of Christian Disbelief, Valley Forge (Pennsylvanie), Trinity Press International, 1994.
[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Paris, Flammarion, 2009, livre 4, p. 427.
[3] « […] nous sommes éblouis en nos pensées et forgeons de vaines rêveries […]. » Calvin, Sermon sur le Deutéronome, Calvini opera, t. 28, pp. 488-489 (je dois à mon collègue François Dermange cette citation).
[4]Cf. Linn Tonstad, « (Un)Wise Theologians. Systematic Theology in the University », International Journal of Systematic Theology 22/4 (octobre 2020), pp. 494-511 ; doi:10.1111/ijst.12361. Cet article de Linn Tonstad fut présenté à la Faculté de théologie de l’Université de Genève en mai 2013 dans le cadre d’un colloque sur la folie et la sagesse de Dieu (1 Co 1-2).
[6] « When the call not to believe every spirit leads communities to confront questions about where dividing lines of identification are to be drawn between faithful and unfaithful confession of God, theology in practice becomes ‘dogmatic’, whether or not the term itself is used. » Not Every Spirit, p. 17.
[9] Jan Assmann, Moïse l’Egyptien. Un essai d’histoire de la mémoire, trad. Laure Bernardi, Paris, Aubier, 2001 ; Le prix du monothéisme, Paris, Aubier, 2007.
[10]Confessions X,vi,8, trad. E. Tréhorel et G. Bouissou, Bibliothèque augustinienne 14, Paris, Desclée de Brouwer, 1962, pp. 152-153.
[11] ND LR : Mot créé par le philosophe allemand Krause pour exprimer la doctrine qui admet que tout est en Dieu, par opposition au panthéisme, qui admet que tout est Dieu, P. Janet, Rev. des Deux-Mondes, 15 nov. 1873, p. 374.
[12] « Unless one takes a position that everything is God, the question of what is not God and not of God remains unavoidable. » Morse, Not Every Spirit, p. 33.
[13] Tertullien, Traité de la prescription contre les hérétiques, trad. Pierre de Labriolle, introduction, texte critique et notes de R. F. Refoulé, Paris, Cerf, 1957 (Sources chrétiennes 46), VII,9, p. 98. Titre latin : De praescriptione haereticorum.
[14] « […] God can only be conceived as “pure activity”, a crucial point […]. Schleiermacher is saying in effect that God is only revealed “in” the world where absolute causality appears, causality totally determining the finite but itself in no way exposed to reciprocal conditioning. » Paul J. DeHart, « Ter munuds accipit infinitum. The Dogmatic Coordinates of Schleiermacher’s Trinitarian Treatise », NZSTh 52 (2010), p. 23 (17-39).
[15] Karl Barth, Dogmatique II/1**, t. 7, Genève, Labor et Fides, 1957 (parution originale en 1940), p. 118.
[16] « The fathers did not, as is still often supposed, hellenize the evangel ; they labored to evangelize their own antecedent Hellenism, and succeeded remarkably if not fully. » Robert W. Jenson, Systematic Theology, New York, Oxford University Press, 1997. t. 1, p. 90.
[17] Martin Luther, « Controverse tenue à Heidelberg », in Œuvres, t. 1, Genève, Labor et Fides, 1957, pp. 124-140 (ici thèses 19 et 21).
[23] « Simply to argue that God suffers or can’t suffer, is passible or impassible, misses the point because it lacks precision. Luther reminds us that God per se is an abstraction ; the only God we know is God in the flesh. God is not passible in the abstract, but only in the flesh of Christ. » Jeffrey G. Silcock, « The Truth of Divine Impassibility. A New Look at an Old Argument », Lutheran Theological Journal 45/3 (2011), 205 (198-207).
[24] Paul L. Gavrilyuk, The Suffering of the Impassible God. The Dialectics of Patristic Thought, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 172. Gavrilyuk écrit (p. 173) : « The vital tension of the incarnation can be dissolved in three main ways […]. One can either (1) deny the reality of Christ’s human experiences ; (2) give up Christ’s divine status ; or (3) claim that divine actions and human experiences have different subjects. The Docetists chose the first solution, the Arians took the second, and the Nestorians accepted the third one. […] In my terminology, the Docetists, Arians, and Nestorians endorsed unqualified and unrestricted divine impassibility. They held that such experiences were unworthy of God and could not be predicated to God without undermining the integrity of the divine nature. »
[25] J. Moltmann, Théologie de l’espérance, p. 151.
[29] Ibid. Cf. également p. 152 et encore 153 : « « Le chemin va ici de l’unique-historique à l’universel, puisqu’il va, dans une direction eschatologique, de l’événement concret au général ».
[30] Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme. Textes et débats, éd. Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, 2015, p. 135.
[31] Karl Barth, Dogmatique II/1**, t. 7, Genève, Labor et Fides, 1957, p. 117.
[33] Karl Barth, Dogmatique II/1**, t. 7, Genève, Labor et Fides, 1957, p. 118-119. « Er kann fühlen, empfinden, affiziert sein. Er ist nicht unberührbar. Nicht dass er von aussen, sozusagen durch fremde Macht, berührt werden könnte. Aber auch nicht so, dass er sich nicht selbst berühren und rühren könnte. Nein, Gott ist berührt und gerührt, gerade nicht wie wir in Ohnmacht, sondern in Macht, in seiner eigenen freien Macht, in seinem innersten Wesen : durch sich selbst berührt und gerührt, d.h. offen, bereit, geneigt (propensus) zum Mitleid mit fremdem Leid und also zum Beistand, zum eigenem Einsatz gegenüber diesem fremden Leid. Nur um Mitleid, und zwar nur um freies Mitleid mit fremdem Leid kann es sich handeln. In sich selber findet Gott kein Leid. Und nichts ausser Gott kann Gott leid tun, wenn er es nicht in eigenen Freiheit Gottes handelt es sich – handelt es sich wesentlich und eigentlich […]. Alles, was Gott ist und tut, ist von daher bestimmt und charakterisiert, dass in ihm, ja, dass er selber diese ursprüngliche, freie, mächtige Rührung, dass er für fremde Not, fremdes Elend, fremde Qual in sich selber zum vonherein offen, bereit und geneigt ist, dass sein mitleidiges Reden und Handeln keine nachträgliche Wendung, keine blosse Appropriation an bestimmte Verhältnisse in der von ihm unterschiedenen Kreatur, sondern dass es in seinem Herzen, in seinem Sein und Leben als Gott begründet ist. » Karl Barth, Die Kirchliche Dogmatik II/1 (1940), Evangelische Verlag, Zollikon-Zürich, 19462, p. 416.
[34] « Il est tout cela en tant que le Seigneur, ce qui veut dire qu’il domine les contradictions et les résout. » Karl Barth, Dogmatique IV/1*, t. 17, p. 196.
[36] Matthias Grebe, « The Suffering God. Bonhoeffer and Chalcedonian Christology », in Matthias Grebe, Nadine Hamilton et Christian Schlenker éd., Bonhoeffer and Christology. Revisiting Chalcedon, Londres-New York, T&T Clark, 2023, p. 153 (137-153).
[37] Richard Bauckham, « Only the Suffering God Can Help. Divine Passibility in Modern Theology », Themelios 9/3 (1984), 12 (6-12).
[38] « Celui qui est capable d’aimer est aussi capable de souffrir, car il s’ouvre lui-même à la souffrance introduite par l’amour, mais il lui reste cependant supérieur par son amour même. » J. Moltmann, Le Dieu crucifié, Paris, Cerf, 1974/1990, p. 265. Cf. aussi Matthias Grebe, « The Suffering God », p. 153.
[39] Simone Weil, La pesanteur et la grâce. Une exploration philosophique et mystique de l’âme humaine, in Œuvres, II/6, Paris, Gallimard, 1997, p. 509.
[40] Calvin, Commentaire sur les cinq livres de Moïse (Harmonie), Préface, p. 3.
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