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Au commencement était le Verbe

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Vincent Schmid

L’idée de « Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », n’est plus satisfaisante pour un esprit contemporain. Pour Vincent Schmid, la création est liée à la Parole.

Il est devenu nécessaire de repenser la notion théologique de création. Lorsque nous répétons avec le Symbole des Apôtres « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », que voulons-nous dire ? Si l’on entend là une compréhension réaliste, à des degrés variables, du premier chapitre de la Genèse, l’impasse est assurée. Depuis le démarrage des sciences modernes, l’idée que l’univers et ce qu’il contient ont été fabriqués par une entité divine ne cesse de perdre du terrain. Les théologiens ont beau inventer des échappatoires sophistiquées, du concordisme à l’Intelligent Design, ces tentatives sont vouées à l’échec. La création ainsi définie fait figure de mythologie désuète. Cette faiblesse est d’ailleurs largement pointée par l’argumentation athée.

  Posons une fois pour toutes que la Bible n’est pas un livre de science naturelle. Elle ne contient aucun renseignement exploitable sur l’histoire ou la structure de l’univers. Il n’est plus possible de l’opposer, si peu que ce soit, aux vertigineuses avancées de la quête scientifique, sous peine de la faire voler en éclats.

  Dès lors, de quoi est-il question dans le premier chapitre de la Genèse ? La réponse pourrait être : de l’émergence d’une parole. Tout au long du chapitre, l’action de Dieu consiste à nommer. Au premier chapitre de la Genèse, Dieu dit et ne fait que dire. Tout passe par une parole qui, en étapes successives, organise et met de l’ordre dans un univers encore soumis à la confusion et à l’indistinction. « La terre était un tohu-bohu » (Gn 1,2), l’expression hébraïque est difficilement traduisible, mais elle recouvre à coup sûr la signification de confusion et d’indistinction. Au départ le tohu-bohu est déjà là, comme un donné confus et indistinct qui attend sa nomination par le langage. La confusion originelle est en attente d’une parole organisatrice destinée à mettre du sens au sein de cette confusion. Si bien qu’à travers les nombreux dits de Dieu mentionnés à la première page de la Bible apparaît progressivement une cohérence du monde, la cohérence globale d’un théâtre sur la scène duquel les êtres humains vont écrire leur histoire.

  Ceci s’adosse à une conception de la parole que nous avons perdue de vue, pour laquelle le mot est plus qu’un simple outil ou un banal moyen de classification. Dieu dit et les choses sont. La parole donne de l’être à ce qu’elle désigne. Paul emploie à ce sujet une expression saisissante : « Le Dieu qui appelle les choses qui ne sont pas comme si elles étaient… » (Rm 4,17). La parole recèle une véritable force créatrice, c’est pourquoi les auteurs bibliques accordent tant d’importance à des notions comme le blasphème, l’invocation, la bénédiction ou la malédiction.

  Prenons l’exemple du secret. Lorsqu’un secret est publiquement énoncé, la réalité perçue jusque-là se transforme complètement. La lumière se fait et le paysage est différent.

  Empruntons au registre sentimental. Dire je t’aime à quelqu’un peut changer totalement la réalité de ma relation avec lui et changer ma propre réalité définitivement.

  Pensons encore à la cure psychanalytique, qui met des mots sur le tohu-bohu intérieur de l’analysant afin de donner une cohérence à sa vie, de sorte qu’il en devienne l’acteur.

  Aujourd’hui comme hier, la parole transforme en nommant.

  Maintenant, pourquoi le récit biblique énonce-t-il cette parole inaugurale ?

  Pour enclencher la dynamique d’une double relation.

  La parole divine institue d’une part la relation d’altérité spirituelle entre Dieu et l’homme à travers laquelle ils peuvent se parler. Elle institue d’autre part la relation d’altérité éthique entre les hommes, à travers laquelle ils doivent vivre ensemble. Finalement, la création pourrait bien avoir pour coeur le prochain humain et le prochain divin.

  La parole, enfin, constitue la ressemblance entre Dieu et l’homme. Dieu se repose le septième jour. À compter de ce jour, qui est notre jour, c’est à nous de poursuivre son oeuvre en donnant du sens au monde et par là, du sens à notre aventure.

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Vincent Schmid
est pasteur dans l’Église protestante de Genève.
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