A quoi me sert-il de vivre libre, si je ne sais pas comment vivre ?
A quoi me sert-il de penser librement, si je ne sais pas comment penser ?
Et à quoi me sert-il d’être une ou un « Libre croyant-e », selon le titre de notre journal, si je ne sais que croire ?
On le voit, la liberté crée un espace vide en lequel il est possible de se développer, mais elle génère aussi de l’angoisse, lorsqu’un individu ou une société ne parviennent pas à réguler les pertes de repères, les confusions et les contradictions, que génère inévitablement la liberté.
Cette face sombre de la liberté explique en partie le glissement, à partir de la prééminence de cette valeur, érigée en objectif culturel majeur dans la seconde moitié du XXe siècle, vers l’esprit du XXIe siècle, plus critique envers le « devoir d’être libre ».
Résister aux totalitarismes
La crise de la liberté se manifeste tout d’abord sur le plan politique. Lorsque des per- sonnes vivent des situations précaires, en proie au chaos, par la guerre, le manque d’hygiène, d’eau potable et de nourriture, l’instabilité poli- tique, la peur d’être envahi, le racisme, la corruption, la première valeur à laquelle elles aspirent n’est pas toujours la liberté, mais plutôt l’ordre social, la sécurité de l’emploi, le contrôle par un État fort. Ce constat explique pourquoi des systèmes politiques nationalistes, autoritaires et liberticides parviennent à s’imposer durablement en divers lieux, l’Europe n’étant pas épargnée. Face à ce durcissement idéo- logique, la foi libérale entend réaffirmer la nécessité de la liberté sur tous les plans, en commençant par celui de la religion, dont l’influence sur les autres aspects de la vie est considérable. La foi d’un-e libre croyant-e n’est pas pro- fessée sous la contrainte ou la menace, elle n’est pas héritée comme un bagage culturel qui va de soi, ou si elle est héritée, elle doit être repensée et validée par le·la croyant-e en personne. En particulier, si la foi chrétienne s’inspire de la Bible (comment pourrait-il en être autrement ?), elle ne doit pas lui être asservie, mais s’en inspirer avec réflexion.
Évaluer l’écologie autoritaire
L’écologie est un des domaines qui marquent le mieux ce renversement des valeurs. Contrairement à l’individu du XXe siècle, appelé par l’existentialisme à réaliser sa liberté, celui du XXIe siècle est appelé, de façon insistante, à restreindre ses libertés individuelles afin de respecter les exigences du bien commun, des écosystèmes et de la planète. L’écologie pro- fonde conteste à l’espèce humaine la possession d’un degré de liberté supérieur à celui des autres êtres vivants, qui lui confèrerait des droits plus étendus dans l’exploitation des ressources naturelles. L’existence de droits de la nature conduit les écologistes à vouloir intégrer dans les structures démocratiques des mécanismes assurant le respect de ces droits, que la nature ne peut pas elle-même revendiquer. Il s’agit, en d’autres termes, de limiter les libertés démocratiques en soumettant préalablement le système politique à des contraintes liées aux droits des animaux et du milieu naturel.
La théologie libérale est directement concernée par ces mutations culturelles. Elle a peut- être, par le passé, embrassé un peu trop unilatéralement les valeurs de l’humanisme, qui considéraient l’humanité en dehors de la nature, voire en contradiction avec elle. La foi libérale, pour laquelle nous militons, ne prêche pas une liberté tous azimuts, qui confère- rait à chacun-e le droit de croire « n’importe comment », en fonction de préférences personnelles indiscutables
Nous professons une liberté responsable, les individus assumant eux-mêmes leurs convictions, dans une saine confrontation d’idées, afin de s’instruire mutuellement et de dégager des voies salutaires par l’échange d’opinions.
La pensée libérale souligne que la liberté n’est pas un luxe réservé aux nantis. Partout dans le monde, les pays libres représentent une critique permanente envers toutes les dictatures et les autres intégrismes idéologiques et religieux. Nous affirmons qu’en tous domaines, l’humanité de l’homme s’améliore lorsque les droits de libre pensée et de libre expression sont reconnus, la liberté n’étant jamais un bien acquis une fois pour toutes.
Penser les paradoxes du genre.
Dans le domaine des questions de genre et de sexualité, par exemple, la notion de liberté s’avère particulièrement complexe. La revendication très radicale d’une liberté d’autodéfinir son genre, au-delà du système binaire des figures mâle et femelle, avec selon la pensée queer, l’existence d’autant de genres qu’il y a d’individus, ne se laisse plus aisément comparer à ce que fut la libération sexuelle dans le sillage de mai 1968. Plusieurs paramètres en matière de perception des comportements genrés ont évolué au point que certains gestes perçus il y a quelques décennies comme des expériences de libération sexuelle, sont suspectés aujourd’hui de cacher des formes d’exploitation. Ces questions me semblent mériter la plus grande attention de la part de la théologie libérale, car elles appellent à de profondes réinterprétations des valeurs judéo-chrétiennes traditionnelles. Devenir un-e libre croyant-e n’est donc pas une entreprise dénuée de difficultés paradoxales, notamment lorsqu’il s’agit de confronter le donné biblique aux mentalités actuelles. Pour cette raison, le protestantisme libéral accorde une importance particulière à la connaissance de l’histoire de la théologie, qui seule permet de mettre en perspective les enjeux des discours chrétiens de notre époque. Il n’y a pas, selon les théologiens libéraux que nous sommes, une seule manière juste de faire de la théologie, mais plutôt une orchestration de théologies appliquées à divers contextes culturels. Être libre croyant-e, c’est accepter de ne pas copier la foi des autres par paresse ou soumission, afin de forger ses propres convictions par l’examen de l’histoire et de son expérience personnelle.
La pertinence du pluralisme
S’il y a une valeur à laquelle le protestantisme ne peut que souscrire, c’est bien celle de la pluralité.
Cet échange de lettres entre deux grands penseurs du protestantisme libéral est la démonstration de la pertinence du pluralisme. Wagner et Buisson, chacun avec sa différence, ses compréhensions du divin et de la religion, parfois très éloignées, offrent, dans cette réédition de leurs échanges de lettres, une occasion au lecteur d’entrer lui-même en dialogue sur sa propre foi. Un ouvrage incontournable qu’il faut avoir dans son bagage libéral.
https://vandieren.com/catalogue/libre-pensee-et-protestantisme-liberal/