À voir la tournure que prennent certains courants intégristes au sein du christianisme contemporain, on en vient à se demander si, pour être chrétien, il ne serait pas préférable de renoncer à cette appellation. Des musulmans doivent se poser la même question devant la montée de l’islamisme. Tout comme Ralph Waldo Emerson qui, dans son Journal, remarquait parfois que « pour être un bon pasteur, il est nécessaire de quitter le pastorat ».
Mais suffit-il que l’adjectif « chrétien » soit mis à mal pour ne plus nous en réclamer ? Il peut prendre des inflexions redoutables, par exemple quand des gens, croyants ou incroyants, nous demandent avec une nuance de soupçon dans la voix : « Êtes-vous vraiment chrétien ? » Nous hésitons alors à répondre, car enfin qu’entendent-ils par là ? Que nous soyons des modèles de christianisme ? Mais qui aurait le front de se prétendre chrétien sans faille et sans reproche ? Ce serait la manière la plus sûre de trahir l’Evangile du christ Jésus et d’oublier que, comme disait Luther, nous sommes « à la fois justes et pécheurs ».
Mais ne baissons pas les bras pour autant et ne nous désolidarisons pas trop facilement des autres chrétiens dans le monde. Car il y a plusieurs manières de l’être et le christianisme dans son ensemble a besoin d’avoir en son sein de ces libres croyants qui, comme nous nous y essayons mois après mois dans ces pages, s’efforcent de ne jamais dissocier l’Évangile de la liberté, ni la liberté de l’Évangile. C’est un service à rendre aux chrétiens hors les murs, aussi bien qu’à ceux qui cherchent à se barricader dans le bastion de leurs croyances, de leurs habitudes et de leurs traditions.