À l’occasion d’un discours en juin 1965, Martin Luther King Jr exhortait les étudiants et toute la génération qu’ils représentaient ainsi : « Let us stand up. Let us be a concerned generation. Let us remain awake through a great revolution »1. En plein mouvement de lutte pour les droits civiques des Afro-états-uniens, MLK Junior reprenait à son compte l’expression « Stay Woke » (« Rester éveillé·e ») apparue dès le XIXe siècle.
L’injonction « woke » (« être réveillé / éveillé ») appelait toutes personnes à se réveiller, se lever et rester activement attentives aux questions sociales, notamment en termes de justice sociale, de racisme et des discriminations qui leur sont liées. L’expression revint dans le vocabulaire courant des engagés politiques et sociaux à travers le mouvement « Black Lives Matter », puis s’est généralisée aux approches intersectionnelles2 : lutte contre le racisme, lutte contre le réchauffement climatique, défense des minorités sexuelles, ou encore la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ainsi est né le « wokisme » contemporain : un engagement politique et social pour un monde plus juste, souvent puisant ses sources dans une espérance parfois spirituelle.
Pourtant, en France, ce terme a été intensément utilisé non pour lutter contre les injustices, mais pour faire taire certains courants critiques au sein de la recherche en sciences humaines et sociales, portant notamment sur les questions de genre, d’identité sexuelle, de discrimination fondée sur l’appartenance religieuse, ethnique, etc.3.
Intéressant de lire alors, au fur et à mesure des débats, comment ce mot est devenu une pierre d’achoppement. Les uns témoignent avoir vécu un moment de réveil, de prise de conscience et d’un changement de vision du monde où la vérité d’un monde injuste leur est apparue et devenue impossible à ignorer. Les autres désignent par ce même mot le nouveau mal absolu contre lequel il faut lutter, afin de préserver un monde de traditions ancestrales. Tous se lèvent pour s’opposer.
« Être réveillé » est devenu un symbole rendant visibles les différentes visions de ce que pourrait être une vie nouvelle et différente, pour les personnes, comme pour le monde.
Étrange, n’est-ce pas, d’observer tout cela avec des yeux de chrétiens pour lesquels, être réveillé et se lever, désignent la résurrection… un autre lieu de débat entre courants théologiques et de vision de la foi ? Tout cela ne nous rappellerait-il pas qu’il faut sans cesse prendre le temps d’échanger et de toujours regarder au-delà du symbole ?