Imaginez cette scène : toutes et tous en cercle autour du temple, nous communions ensemble. C’est le soir qui précède la marche des fiertés, et cette fois, comme les autres années, des associations particulièrement actives auprès des publics LGBTQI + ont participé à l’organisation.
Comme l’année précédente, la veillée se veut inter-religieuse, nous commençons à nous connaître et des liens de confiance facilitent la cohésion de l’assemblée.
Mais cette année, des associations non-confessionnelles ont fait le choix de venir aussi, parfois après des années passées à penser que religion et militantisme LGBTQI+ sont antinomiques.
Dans le cercle de communion ce soir-là, nous sommes pourtant toutes et tous rassemblé·e·s.
Mais autour de quel centre ?
« Ceci n’est pas une Sainte Cène », pourrait-on dire d’abord, pour éviter toute ambiguïté ; mais ceci est bien surréaliste au sens où nous sommes en train d’accueillir les réalités de chacun par un geste dont la portée dépasse réellement et symboliquement toutes les coupures qui existent entre les convictions de celles et ceux qui sont nos hôtes ce soir-là.
Pour que nous nous retrouvions ensemble dans une telle équidistance d’un centre commun, il a fallu sortir du cadre habituel. Dans les veillées inter-religieuses, et parfois même œcuméniques, la facilité est souvent de ne pas organiser de rite de communion pour que personne ne se sente exclu. La cène reste en effet, pour beaucoup, le « sacrement de l’exclusion », comme le disait très justement André Gounelle.
En remettant en question la pratique habituelle du plus petit dénominateur commun, il est possible de trouver d’autres points de rencontre. C’est le défi que nous avons relevé en inventant un nouveau rite de communion universelle. Bien sûr, le modèle de la Cène fut précieux, mais il fallut s’en émanciper pour chercher ce qui pouvait faire sens pour un musulman, une juive, un athée ou une agnostique. Le pain et le vin, le corps et le sang du Christ, semblaient hors sujet tant leur charge symbolique pesait sur l’histoire des religions et sur la conscience collective.
Alors, il fallut trouver un autre symbole, véritablement universel et dont la portée anthropologique fût assez large pour être réellement inclusive. C’est donc un verre d’eau qui fut proposé à chaque personne présente dans ce cercle humain. L’eau, bien ô combien précieux, parfois rare et toujours symbole de vie, tant chaque être humain en a besoin.
Dans les années qui viennent, cette denrée sera un enjeu de pouvoir pour nos sociétés humaines, la lutte pour l’accès à l’eau a déjà commencé pour beaucoup sur la planète bleue, mais ce soir-là, dans ce temple, ce petit verre d’eau fut le symbole de la paix et de l’hospitalité entre les humains.
Et, que l’on ait été croyant ou non dans ce cercle, c’est un peu de divin qui nous a rassemblé·e·s.
Grâce à cette rencontre, et parce qu’il ne suffisait pas de faire comme on avait toujours fait, il aura fallu inventer des paroles rituelles nouvelles, réinvestir des gestes anciens, sauter le pas de faire autrement sans craindre l’hérésie, juste en écoutant les aspirations spirituelles contemporaines, loin des codes ancestraux et en même temps si près de l’esprit qui anime notre foi.
Repousser les limites de nos traditions n’est pas seulement une nécessité pour accueillir au mieux celles et ceux qui nous rejoignent dans des événements atypiques :
c’est aussi un devoir pour rendre cohérents nos idées et nos actes.
Comment faire, jusqu’où ?
Seule une réflexion théologique libre pourra nous donner le cadre de nos nouvelles traditions.
Car, comme tout ce que nous faisons, les traditions s’inventent, au gré des défis que les rencontres humaines nous proposent.