« Ce n’est pas même la Tolérance que je réclame ; c’est la Liberté ! » s’écriait le grand protestant Rabaut Saint-Étienne[1]. Alors que la Révolution vient d’apporter un vent de liberté sur un peuple soumis au caprice d’un roi, il fallait encore que cette liberté soit pour tous. Le protestantisme, longtemps interdit et pourchassé, se voyait alors toléré.
Mais comment une nation peut-elle ériger en principe la liberté, si cette dernière n’est pas pour tous ? Tolérer celui qui est différent de la majorité, c’est simplement accepter que ce qui est considéré « comme une erreur » puisse se dire, mais sans jamais lui accorder une place égale à ce qui est compris comme la vérité.
Tandis que la Liberté, c’est reconnaître que l’idée de l’autre a une place, tout aussi légitime que mon idée, et c’est garantir son expression sans entrave.

Si ma foi n’adhère pas au dogme de la divinité de Jésus, mais que son enseignement est ce qui la fonde, la soutient et qui me guide dans ma vie, alors je mérite autant le titre de chrétien que ceux qui croient le contraire de moi. Si, dans ma foi, la résurrection n’est qu’un symbole, j’ai la liberté de le dire sans que pour autant cela s’impose à ceux qui croient en son historicité. Si la liberté garantit l’égalité de toutes les opinions et croyances, elle ne peut se passer de la fraternité. En effet, les idées peuvent librement se dire, se considérer comme égales en légitimité, et pour autant, cela n’empêche pas le combat, la lutte ou la guerre. « Battons-nous d’égal à égal et que le meilleur gagne ».
Mais si on ajoute de la Fraternité à la Liberté, alors on n’est plus dans le combat, mais on entre dans le dialogue et la complémentarité. Nos idées peuvent être différentes et même opposées, mais nous pouvons ensemble les proposer au monde, car il y aura toujours ceux qui adhéreront à ton idée et d’autres à la mienne.
Mais, hélas, aujourd’hui, c’est au nom même de la Liberté que nous trouvons le pire.

Dans un discours au congrès de la Ligue pour l’enseignement, en 1903, Ferdinand Buisson s’élevait contre ce qu’il appelle la fausse neutralité. Il s’agit de la neutralité réclamée par ceux-là mêmes qui s’y opposaient au moment de la mise en place de l’école laïque. Ce sont encore les mêmes qui aujourd’hui, réclament la neutralité, en demandant aux enseignants de ne pas parler de religion, de caricature ou de ne pas enseigner des sciences qui s’opposeraient aux lectures littérales des textes sacrés. C’est, ici, dévoyer la laïcité (et sa neutralité pratique) de ce qu’elle est vraiment : un espace de liberté et d’égalité.
Eh bien, il me semble qu’il en est de même aujourd’hui de la Liberté.
La fausse liberté, n’est pas celle qui consiste à pouvoir librement exprimer son opinion. Non, la fausse liberté, consiste à dire qu’une idée doit s’exprimer, car elle vient contredire au moins un « mensonge mondial ». La fausse liberté pense se libérer d’un mensonge qui voudrait la faire taire parce qu’elle exprime la vraie vérité. C’est bien entendu la liberté proclamée par tous les complotismes qui font florès ou les discours les plus ahurissants de puissants dirigeants. La fausse liberté est celle de ceux qui disent « je dis vrai parce que les autres mentent. Et je le dis parce qu’on veut m’interdire de le dire. »
Les platistes (qui croient que la Terre est plate) et autres complotistes se font les chantres de la liberté. Leur parole, selon eux, est la seule vraiment libre, puisque la seule qui s’oppose au mensonge mondial. La Terre est plate ! Que certains y croient, soit ! Entre Bible et science (science qui étudie aussi bien la Bible que l’Univers), la discussion se confrontera vite aux preuves. Mais chacun est libre de croire ce qu’il veut et croire que la Terre est plate n’est pas plus farfelu que de croire aux miracles d’un Dieu qui arrête la course du soleil, qui change l’eau en vin, marche sur l’eau ou revient à la vie après trois jours de mort.

Il ne suffit pas de dire que tout le monde a tort pour dire qu’on a raison. Et le danger aujourd’hui, c’est cette prolifération, au nom de la liberté, de discours qui érigent la pensée de l’autre en mensonge pour affirmer leur vérité. Pour paraphraser Sébastien Castellion : défendre une idée ou une croyance, ce n’est pas traiter l’autre de menteur ou d’athée, mais c’est défendre une idée ou une croyance.
- Jean-Paul Rabaut dit Rabaut Saint-Etienne, Pasteur français (Nîmes 1743-Paris 1793). Il fut à l’origine de l’édit de tolérance dont bénéficièrent en 1787 les protestants français. Député aux États généraux (1789) et à la Convention (1792), il défendit les droits de l’homme ; il fut exécuté avec les Girondins. (Larousse) ↩︎