C ’est d’une étrange modernité ! Dans ce monde sécularisé, nous pouvons nous poser la question avec Buisson : Que reste-t-il donc ?
La foi en un Dieu personnel semble impossible puisque rejeté par une majorité de nos contemporains et même les discours plus progressistes n’échappent pas au risque de l’anthropomorphisme.
Alors reste-t-il encore une possibilité de foi en Dieu ?
Buisson, dans son échange avec le pasteur Charles Wagner, reprendra la pensée de l’abbé Marcel Hébert et écrit :
« Pour exprimer le sentiment Divin, il vaut mieux… éviter tout ce qui expose à l’idolâtrie en rappelant la personnalité humaine, et se borner à des applications fondées sur le mode pratique de la manifestation du divin dans la conscience ; au lieu de Dieu, dire l’idéal du bien, du vrai, de la justice ».
Une théologie de la laïcité
Comment donner une vision du divin qui pourrait le rendre parlant et crédible ? Pour cela, explorons ce que nous pourrions appeler une théologie de la laïcité.
La laïcité et la sécularisation ne sont pas la même chose. La sécularisation concerne la société, c’est une mise « en dehors » de la notion de Dieu. La laïcité concerne les institutions. Du moins si on considère la laïcité comme un principe législatif et constitutionnel.
Mais la laïcité peut aussi être comprise comme un principe qui s’applique à la foi. Une méthode qui permet à la foi non plus de se vivre en dehors et qui cherche à s’imposer, mais comme une intériorité qui me fait être, qui nourrit, au cœur même d’un monde. Dans les débats autour de la séparation des Églises et de l’État, certains, opposés au projet de loi, confondaient laïcité et sécularisation. Ils pensaient que la loi était contre la religion. Mais constamment, les penseurs de la laïcité ont rappelé que la loi n’était pas contre la religion, mais qu’elle permettait à l’État et aux Églises de retrouver leur pleine liberté. La laïcité, c’est un principe de liberté et d’égalité.
En nous inspirant de Ferdinand Buisson, sa pensée peut nous être utile. En effet, on peut faire un parallèle entre ses réflexions sur la laïcité et la place du religieux et la sécularisation et la possibilité d’un religieux (retrouver une conception de Dieu au cœur d’une société sans Dieu). Et sa pensée, hélas un peu oubliée, est très pertinente pour nous aujourd’hui.
Pour Buisson, tout comme il était nécessaire que l’École soit laïque, il faut aussi « laïciser la religion ». Il ne s’agit pas de séculariser la religion (ce serait un non-sens) mais il faut, en fait, la dégager de tout dogmatisme qui vient, justement, imposer un Dieu que la raison du siècle ne peut plus accepter.
Donc, pour resituer, replacer Dieu dans le monde qui est le nôtre ; pour retrouver un Dieu non pas pour des crédules, mais un Dieu crédible, découvrons l’idée de Dieu a travers la notion de neutralité.
La neutralité
Buisson s’élève contre ce qu’il appelle la fausse neutralité. Celle qui encore aujourd’hui est réclamée à l’École. Celle qui consiste à faire de l’instituteur « un distributeur automatique de leçons de calcul et d’orthographe », n’exprimant aucune conviction. Cette neutralité-là, c’est un effacement, c’est l’impuissance et c’est l’insignifiance.
Si on l’applique à une réflexion sur Dieu, et par extension à l’Église, en tant qu’elle est le lieu où l’idée de Dieu se dit, cette fausse neutralité serait le non-questionnement. L’acceptation de ce qui est et qui a toujours été. Ce serait cette sorte de « faire avec ». Pas vraiment satisfait ou d’accord, mais on fait avec et du coup, c’est ne pas oser autre chose. Pire que cela, c’est la posture de celui ou celle qui se dit : « Qui suis-je pour dire ce que je crois vraiment ? »
C’est la neutralité qui vient neutraliser, qui vient rendre comme mort, immobile.
Pour Buisson, il n’y pas de neutralité au sens absolu et total de ce mot. Et si, pour Buisson, l’École ne doit pas être une école de combat (contre le religieux), nous pouvons dire la même chose de l’idée de Dieu et de l’Église. Ne faisons pas de l’Église un espace de lutte. Lutte contre la pensée contemporaine ou contre la sécularisation. Une lutte sous forme de résistance, mais aussi d’attaque. On se perdrait à vouloir lutter contre un phénomène inéluctable et nos armes ne seraient même pas les bonnes.
La véritable neutralité est le fait de se dégager de tous les dogmatismes, c’est-à-dire de toutes les idées affirmées comme fondamentales et incontestables. Ce n’est pas facile, mais c’est salutaire.
En reprenant Buisson, « il faut définir le mot neutre par le mot laïque ». Tout comme pour l’École, l’idée de Dieu n’est pas neutre, mais elle doit être laïque d’esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine. C’est-à-dire qu’on peut concevoir Dieu, le divin, avoir un sentiment religieux indépendamment de toute autorité extérieure à notre conscience.
Et la conscience, c’est justement ce sanctuaire inviolable où se trouve Dieu.
La laïcité, c’est donc la liberté de conscience et une théologie de la laïcité, c’est croire en un Dieu, un divin qui se présente librement à la conscience ou une conscience libre qui adhère à une idée de Dieu ou du divin.
Ce divin est donc dans la conscience de chacun. Mais alors, est-ce juste un concept philosophique ?
Non, car il y a le sentiment religieux. Il y a ce qu’on appelle la foi et qui reste bien difficile à définir tant elle s’exprime de différentes manières. [C’est ici un point de dialogue avec l’athéisme et donc déjà une possibilité de Dieu dans la sécularisation. On peut citer ici Gabriel Séailles (Union de libres penseurs et de libres croyants pour la culture morale) : tout homme doit pouvoir « être athée, sans être traité de scélérat, et croire en Dieu, sans être traité d’imbécile »]
Le sentiment religieux, c’est avoir conscience de quelque chose qui nous dépasse, qui nous appelle, qui nous fait espérer. Un idéal qui, par définition, est conçu et représenté dans l’esprit sans être ou pouvoir être perçu par les sens.
Et en reprenant la citation de l’abbé Marcel Hébert : « Au lieu de dire Dieu, dire l’idéal du bien, du vrai, de la justice ».
Pourquoi ne pas voir Dieu, non plus du dehors, mais du dedans. Non plus comme un extérieur, mais comme un intérieur à l’humain. Et c’est donc là que la théologie de Buisson, comme il le dit lui-même, sans doute trop en avance, peut nous inviter à retrouver ce Dieu dans l’idéal du Bien, du Bon et du Vrai. Le retrouver en se libérant de tout dogmatisme et de tout système religieux autoritaire, en retrouvant cet idéal dans toutes les dimensions de l’humanité, mais appelé a plus, appelé à être dépassé, appelé à s’élancer vers du plus grand. Avoir cette conscience de l’idéal qui appelle à avancer, c’est peut-être ce qui passe pour l’irréligion du présent, mais qui sera peut-être la religion de l’avenir.