« Je n’admets avoir commis aucun délit. Quand les pays ferment leurs frontières, les cœurs doivent rester ouverts et les portes des Églises également », a déclaré l’ancien président du Réseau évangélique suisse (RES), le pasteur Norbert Valley, après avoir été blanchi le 12 mars 2020 par le Tribunal de police de la Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel.
Les faits débutent en 2013, lorsque le pasteur Valley fait la connaissance d’un Africain togolais entré l’an précédent dans l’asile neuchâtelois. Le jeune homme participe aux cultes et le pasteur du Locle devient son confident et son ami : « Nous voulions l’aider à s’intégrer et à trouver un emploi. Nous avons par exemple participé aux frais de son permis de conduire. » Quelques mois plus tard, le requérant est débouté. Il devient un sans-papiers et il lui est demandé de quitter la Suisse au plus vite : « C’était une tragédie pour lui, il était dans un état de détresse profonde. » Sa vie était sérieusement menacée dans son pays d’origine, où il avait été emprisonné pour avoir manifesté dans l’opposition.
Ingérence policière
Interpellé en Suisse par la police en décembre 2017, le requérant reconnaît qu’il lui arrive de dormir dans une église et livre le nom du pasteur. Deux mois plus tard, lors d’un culte, Norbert Valley aperçoit deux policiers qui montent la garde derrière la porte. Interrompant la célébration, il se rend vers les agents qui lui demandent de le suivre au commissariat. Suite à ce seul interrogatoire, le pasteur reçoit le 15 août 2018 sa condamnation à cent jours-amende à 10 francs avec un sursis de 2 ans et des frais de procédure avoisinant les 250 francs, soit l’équivalent de 1 150 euros environ.
Il lui est reproché d’avoir contrevenu à l’article 116 de la Loi fédérale sur les étrangers, qui punit depuis 2006, sous l’influence du tribun populiste Christophe Blocher, quiconque « facilite l’entrée, la sortie ou le séjour illégal d’un étranger ». Ayant fait recours et pris un avocat, Norbert Valley est convoqué par le Ministère public en octobre 2018 puis, cette audience ajournée, en avril 2019. Norbert Valley, devant la statue de Guillaume Farel à Neuchâtel, rappelle alors le fondement de ses convictions en citant les paroles de Martin Luther à la diète de Worms : « Ma conscience est captive de la Parole de Dieu. Je ne veux et ne peux me rétracter de rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. » Pour le pasteur réfractaire, « condamner celles et ceux qui font le bien, c’est les empêcher d’aimer leur prochain ».
Politisation de l’affaire
Ces événements suscitent un nombre croissant d’actions de solidarité et des pétitions. Un de ses avocats avertit que « si nous condamnons Norbert Valley, nous allons vers une société d’apartheid ». Le Groupe de Saint François, proche des milieux réformés, affirme que « cette loi s’éloigne des principes fondamentaux de l’Évangile et des valeurs de la Constitution suisse ». Julie Jeannet, responsable de campagne migrations pour Amnesty International Suisse, dénonce l’instauration d’« un climat délétère qui criminalise la solidarité et décourage la population de venir en aide aux personnes migrantes ». Et la militante d’expliquer que « les autorités abusent des lois anti-passeurs pour intimider » les bénévoles.
Dans la foulée, une initiative lancée par la conseillère écologiste aux États (Chambre haute du parlement suisse) Lisa Mazzone demande de mettre un terme au « délit de solidarité », qui a vu près de 800 personnes condamnées en Suisse en 2018. Il s’agit de dépénaliser l’aide apportée aux requérants en détresse par des citoyens bénévoles. Le 4 mars dernier, c’est-à-dire 8 jours avant l’acquittement définitif de Norbert Valley par le Tribunal de police de La Chaux-de-fonds, le Conseil national (Chambre basse du parlement suisse), dominé par la droite, refuse de donner suite à cette initiative. On comprend dès lors que Norbert Valley, satisfait pour lui-même, perçoit sa victoire en demi-teinte, déplorant que « des personnes resteront condamnées ». Quitte à enfreindre à nouveau la Loi, face à « un état de détresse, je recommencerais », a-t-il osé affirmer devant le juge qui l’a acquitté.