« Les chaînes de l’habitude sont en général trop peu solides pour être senties, jusqu’à ce qu’elles deviennent trop fortes pour être brisées », écrivait Samuel Johnson.
Élection après élections, nous avons pris l’habitude de dire qu’il faut éviter le pire, nous avons pris l’habitude de dire que l’extrême droite n’a jamais été aussi proche de remporter les élections. Oui à chaque élection, elle se rapproche et si les chaînes de haine et d’exclusions que ces mouvements traînent avec eux ne nous cisaillent pas encore les chevilles et les poignets, il est fort à parier que bientôt nous ne pourrons plus les briser. Alors nous verrons que cette habitude de crier au loup, en fait, leur a ouvert la porte de la bergerie. Il ne s’agit pas, une fois de plus, de rappeler tout ce que l’extrême droite représente et porte de valeurs qui s’opposent à l’Évangile. Il ne s’agit pas dans le Rassemblement National ou dans Reconquête, des partis comme les autres et dire que l’Église ne doit pas faire de politique. L’Évangile nous ouvre à un idéal qui n’est pas celui que nous promet la « gueule d’ange » en tête d’affiche du parti aux idées rances. Et libre à chacun de penser le contraire, mais alors il faudra reconnaître que nous n’avons pas le même Évangile.
Cet Évangile, duquel nous nous revendiquons, nous appelle à avoir des droits et des devoirs. Et c’est sans doute cela qu’il faut placer au cœur de notre réflexion et de nos choix, aussi bien dans la vie que dans la vie politique, car c’est à travers elle, et particulièrement lorsqu’on parle d’Europe, que nous pouvons avoir une vision du « vivre ensemble » qui doit fonder l’action politique et l’action pour le bien commun.
« L’ auto-nomie » contraire au vivre ensemble
Pour reprendre le théologien Paul Tillich, et pour approfondir la question des droits et devoirs du « vivre ensemble » nous pouvons nous poser la question de l’articulation entre autonomie, hétéronomie et théonomie.
Le vivre ensemble est la cohabitation du sujet individuel avec d’autres sujets individuels. Chacun ayant sa propre liberté, ses propres désirs, et ses propres besoins. Et pour que ces individualités vivent ensemble il est nécessaire d’établir une norme.
L’individu souhaite naturellement vivre selon sa propre norme, il souhaite vivre selon ses propres règles et ses propres désirs. En ce sens, l’individu cherche son autonomie (sa norme). D’autres diront la souveraineté. L’autonomie est donc contraire au principe de vivre ensemble, car comme le dit John Stuart Mill : « « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». On peut dire que l’autonomie ce n’est pas un « vivre ensemble » mais un « vivre seul ».
L’hétéronomie est ce qui aboutit à la tyrannie
L’hétéronomie pourrait être une manière de vivre ensemble. Mais ici la norme de tous est celle d’un autre ou d’un groupe. L’individu vit ou subit une norme qui n’est pas sienne et donc il ne collabore pas pour son élaboration. L’hétéronomie est donc ce qui aboutit à la tyrannie, à la dictature et aux État totalitaires. Dans ce cas, ce n’est pas un « vivre ensemble » mais un « subir ensemble ».
La théonomie, la norme de Dieu
Reste alors comme piste la théonomie, la norme de Dieu. Il ne s’agit pas ici de vouloir imposer une religion. Dieu ici représente à la fois ce qui est extérieur à nous, qui transcende l’humanité, qui l’appelle à se dépasser, mais en même temps représente ce qu’il y a de plus personnel, de plus intime. Être en relation avec « Dieu » et vivre sa norme, c’est chercher la manière de vivre avec l’autre, d’avoir le sentiment d’une responsabilité commune les uns les autres, et en même temps avoir la conviction que ce qui m’est demandé, et qui n’est pas de ma volonté, est bénéfique pour moi et pour l’autre.
La théonomie est donc ce qui permet du vivre ensemble car elle permet de relier l’individu et le collectif au sein d’une norme qui n’est ni celle de l’individu, ni celle du collectif, mais qui provient d’un tiers transcendant, d’un idéal.
Dimanche, notre responsabilité sera dans ce choix que nous offre encore la démocratie : Quel idéal pour l’Europe ?
Et l’Église ?
Elle peut et elle doit être au cœur du « vivre ensemble ».
Elle ne doit pas exister en étant au bénéfice du « vivre ensemble » comme étant tolérée dans la société. Au contraire, elle doit faire du « vivre ensemble » son objectif premier. L’Évangile nous y invite en demandant de nous aimer les uns les autres comme nous avons été aimés.
Ainsi l’Église doit être pleinement diaconale, c’est-à-dire tournée et mue par le service non pour l’Évangile (notion de prosélytisme et donc autonomie qui devient hétéronomie) mais parce que l’Évangile (théonomie). Ainsi l’Église doit être un lieu de lien et en lien avec le monde. Voilà les véritables droits et devoirs du vivre ensemble, chercher ensemble à se faire grandir au nom d’une humanité qui dépasse l’humanité.
Vivre libre et solidaire
Vivre Ensemble, c’est avoir le devoir d’être en lien et solidaire et c’est le droit de vivre libre et solidaire. En ce sens, la devise de la République française résume bien cela et peut-être faut-il retrouver toute la force de cette devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Avoir le droit d’être Libre, avoir le devoir d’être Égaux, avoir le droit et le devoir d’Être frère et sœur au nom d’une transcendance.