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L’Église : la fabrique du langage religieux

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Image par Tumisu de Pixabay
Beatrice Cléro-Mazire

La notion de progrès peut sembler étrange dans le domaine théologique où la tradition domine. Pourtant, les vieux mots du religieux n’ont de sens que lorsqu’ils entrent en résonance avec l’actualité de celles et ceux qui les empruntent pour dire leur foi. Et si la vocation de nos églises était de faire progresser cette langue ?

Les témoignages les plus anciens concernant le christianisme  montrent à quel point la théologie et l’ecclésiologie ont été d’emblée confondues. La façon de se rassembler des premières communautés a sans doute influencé la manière de parler de Dieu et d’être fidèle à Jésus autant que l’enseignement de Jésus a influencé les pratiques et les rites des premières communautés chrétiennes. Parmi les exemples les plus parlants de ces influences mutuelles, on peut parler des sacrements de la cène et du baptême. Ces deux pratiques existaient avant Jésus et faisaient sens dans son système de pensée théologique, sans toutefois être des sacrements comme ils le deviendront, après sa mort, dans les premiers cercles d’héritiers de son enseignement.

Comme dans tout mouvement qui cherche à exister indépendamment de celui qui l’a vu naître, le langage de l’enseignement et de la proposition, qui jusque-là ouvrait de nouvelles perspectives pour penser autrement la relation à Dieu, a eu tendance à devenir un langage prescriptif et une vérité sur Dieu.

Ce langage de la règle, en même temps qu’il clarifiait les contours des nouvelles communautés et affirmait l’autorité et la légitimité des raisons de se rassembler selon de nouvelles modalités, était sans doute nécessaire pour rendre identifiable une nouvelle théologie se démarquant des anciennes qui l’avaient suscitée. Le temps aidant, le christianisme changeant de statut dans le paysage religieux dans lequel il évoluait jusqu’à devenir la religion dominante, c’est la théologie tout entière qui est devenue prescriptive. Il fallait énoncer des pensées théologiques, non pas pour explorer de nouvelles façons de vivre sa foi et réformer les pratiques qui en découlaient, mais pour légitimer l’autorité d’une Église devenue organe capable d’instituer la vie chrétienne. La bonne nouvelle d’un Dieu pour l’homme telle que Jésus l’avait sans doute comprise dans sa foi, devenait alors le vade-mecum du chrétien conforme aux lois d’un pouvoir clérical.

Aujourd’hui, dans un contexte où les pouvoirs spirituels et temporels sont séparés, où l’autorité du christianisme n’est donc plus hégémonique, où la pratique religieuse est davantage un choix relevant de l’intime qu’un marqueur d’identité sociale, « l’Église » cherche sa propre définition.

L’Église définie comme l’ensemble des baptisés pose problème ; car ce n’est plus le baptême qui fait le chrétien ; définie comme l’ensemble des croyants fidèles à Jésus le Christ elle interroge aussi, car on peut se demander de quel Jésus nous parlons et ce qu’est devenue la figure du Christ au creuset des doctrines théologiques successives : dogme figé ou entité dynamique. Les composantes qui servaient à étiqueter un chrétien ne sont plus aussi claires : l’adhésion à un credo dans lequel figure un Dieu Père, au ciel, juge des fautes humaines et laissant un homme être sacrifié pour expier nos péchés puis le ressuscitant dans une vie éternelle, semble de plus en plus problématique aujourd’hui dans un contexte ouvert à la critique et où la conscience individuelle revendique à juste titre son droit de regard sur les idées qu’on lui propose. Chacun des éléments qui permettait l’identification de la dogmatique chrétienne est mis en débat. Le code barre du chrétien ne fonctionne plus.

Faut-il changer les dogmes pour les rendre acceptables et imaginer des combinaisons interprétatives capables de rendre les vieux mots mis- cibles dans la modernité ? Une telle démagogie ne fait illusion qu’un temps et tort le cou à la vérité de textes et de dogmes dont on ne peut transformer l’anachronisme en idée contemporaine.

Faut-il expurger les vieux mots inaudibles aujourd’hui pour ne garder qu’un esprit éthique vague et sans racine, reniant ainsi la richesse historique et la profondeur de champ qu’offre toute tradition ?

Une part du libéralisme a cru un temps qu’il était possible de ne prendre, dans la forêt de signes qu’offrait l’héritage chrétien, que la part qui s’ac- cordait avec le présent. Mais le résultat d’une telle facilité n’est pas la Réforme, mais une dissolution.

Dans ce contexte, ce qu’on appelle « église » doit changer, et c’est heureux. De l’institution prescriptive qu’elle est devenue au fil de son institutionnalisation, l’ecclesia, l’assemblée, peut devenir la caisse de résonance de la foi de chacun. Non pas dans une démarche démagogique qui viserait à dire : « vos idées sont les nôtres », mais dans une démarche véritablement harmonique, qui vise à entendre les bruits du monde, les cris des humains, leurs murmures, leurs espérances, pour les faire vibrer dans l’expression d’une foi impossible à résumer, à énoncer dans un credo contraint

La plupart des personnes qui entrent aujourd’hui dans nos temples confient volontiers croire en « quelque chose » ou « quelqu’un », mais avouent dans le même temps ne pas savoir comment définir ce mouvement intérieur. Quelque chose dans leur vie les appelle à un changement, à une confiance nouvelle et à une autre répartition des priorités dans leur vie, mais ces personnes n’ont pas encore trouvé leur langue pour dire leur foi. On pourrait penser qu’il leur manque un catéchisme, mais ce serait une erreur de penser que le rôle de l’église instituée est de pourvoir à un enseignement catéchétique classique, dans lequel il faudrait apprendre les vérités chrétiennes comme si elles existaient, rangées quelque part, attendant qu’on les transmette dans une tradition. Le mouvement de ré- forme constante dans lequel nous sommes engagés et l’accueil des personnes dans leur diversité, amènent l’église à devenir une véritable fabrique du langage théologique, dans laquelle la matière première serait constituée des affirmations dogmatiques du christianisme, des traditions chrétiennes, mais recyclées par nos contemporains à l’aune de nouvelles façons de dire sa foi et de lire les textes de la tradition biblique. C’est cette recomposition, cette recréation du langage théologique qui permet de faire advenir véritablement une religion hospitalière à toutes et tous, sans obliger quiconque à faire entrer sa vie et la sincérité de sa foi dans une dogmatique qui ressemblerait davantage au lit de Procuste, trop court pour faire place à la richesse et à la liberté de chaque existence.

La transformation d’une Église qui dit la vérité sur Dieu en une Église qui écoute la vérité de la foi de chacun est exigeante pour nos pratiques et nos éthiques. Cela nécessite de vivre l’église comme un carrefour, une halte fructueuse à l’écoute de textes mis en partage et en débat, sur le chemin de celles et ceux qui la composent, comme un instrument harmonisant la diversité des voix, sans les affadir. Et étrangement, de ce qui pourrait être une cacophonie, émerge une théologie commune, reconnue en chacun au fil des rencontres et des échanges. En vivant en- semble, en pensant ensemble, le collectif si divers trouve son centre de gravité et devient capable d’énoncer, pour aujourd’hui au moins, les mots d’une foi partagée. 

Image de Béatrice Cléro-Mazire
Béatrice Cléro-Mazire
est pasteure de l’Église protestante unie de France à Paris – Oratoire du Louvre.
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