Plateforme du protestantisme de liberté et de progrès

L’unité entre luthéro-réformés et évangéliques est-elle encore possible ?

Partager cet article :
Une tentative d'unification, louable en apparence, ne relève-t-elle pas d'une chimère? Ce sont bien deux protestantismes différents qui coexistent aujourd'hui.
La croix huguenote, symbole d'appartenance à la communauté protestante. DR / Réforme

« Le souvenir du passé est la force de l’avenir », écrivait Victor Hugo. Pour ce dernier article de l’Union protestante libérale et progressiste dans Réforme avant la pause estivale – en attendant de nous retrouver au musée du Désert pour sa traditionnelle Assemblée commémorative – nous souhaitons poser une question simple, mais essentielle: qu’est-ce que le protestantisme français aujourd’hui?

Dès l’énoncé, un premier écueil se dessine: peut-on vraiment parler du protestantisme au singulier? Ce serait méconnaître sa diversité et, osons le dire, sa fragmentation croissante. Le paysage est composé d’au moins deux grandes sphères: d’un côté,1a nébuleuse évangélique réunie autour du Conseil national des évangéliques de France (Cnef), de l’autre, la Fédération protestante de France (FPF), qui cherche à incarner la voix commune des protestantismes luthéro-réformés et évangéliques. Mais cette tentative d’unification, louable en apparence, ne relève-t-elle pas d’une chimère? Peut-on vraiment concilier des visions aussi divergentes, souvent antagonistes, notamment sur les questions éthiques et sociétales? Fin de vie, interruption volontaire de grossesse, divorce, bénédiction des couples de mème sexe, ministère féminin: les positions s’opposent frontalement. Ce que certains considèrent comme des avancées évangéliques de justice et d’inclusion, d’autres les dénoncent comme des transgressions, voire des abominations.

Le vœu n° 2 adopté lors du dernier synode national de l’EPUdF, qui demande la prise en compte de la pluralité des voix, témoigne de ce grand écart – pour ne pas dire de ce gouffre – entre deux manières d’être protestant. Force est de constater que le monde évangélique est désormais numériquement majoritaire en France. Il attire et il se déploie. Il apparaît donc, pour beaucoup, comme la force d’avenir du protestantisme. Cela se traduit par une place accrue au sein de la FPF – et c’est compréhensible. Même Réforme, dans une volonté légitime d’élargir son nombre d’abonnés, souhaite s’ouvrir de plus en plus à cette sensibilité. Mais ce modèle d’équilibre instable, où l’on tente de ménager la chèvre et le chou, est-il encore viable?

Presque deux religions

Car ce sont bien deux protestantismes différents qui coexistent aujourd’hui. Deux univers spirituels, culturels, théologiques – presque deux religions. L’un s’enracine dans l’histoire de la liberté de conscience, du témoignage critique face au pouvoir, de la défense de la laïcité. L’autre repose sur une doctrine perçue comme immuable, où l’adhésion aux dogmes et la fidélité à un corpus moral strict sont des marqueurs de piété. Si les fondements divergent à ce point, alors une voix commune semble illusoire.

En valorisant aujourd’hui le courant évangélique comme avenir du protestantisme, ne sacrifions-nous pas ce qui a constitué son passé luthéro-réformé ? Peut-être ce glissement se lit-il jusque dans le nouveau logo de la FPF. Présenté comme une version stylisée de la croix huguenote, il en brouille pourtant les repères. Cette croix de Malte étoilée, sur laquelle une colombe (symbole de l’Esprit) a été ajoutée – non au centre, mais juste à côté – évoque davantage, à y regarder de près, l’ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III pour récompenser la noblesse catholique que l’emblème du protestantisme fidèle au roi et résistant aux persécutions.

On pourrait n’y voir qu’un détail. Mais les symboles, eux aussi, parlent. Ils disent les choix, les appartenances, les oublis. Nous ne croyons pas que cette diversité soit forcément source de division. Elle, peut, au contraire, nourrir un dialogue fécond. A condition que chacun affirme claire- ment ce qu’il est, ce qu’il croit, ce qu’il apporte. Le respect de l’autre commence par la lucidité sur soi. La FPF, qui fête cette année ses 120 ans, a sans doute atteint une forme de limite. Le paysage religieux a changé. Les Églises ont changé. La société a changé. Nous ne sommes plus en 1905. Il est peut-être temps de repenser nos formes d’organisation, nos modalités de parole publique. Pour que nos «oui» soient des «oui», et nos «non», des «non». Non pas dans l’uniformité, mais dans la clarté. Dans le respect mutuel, mais aussi dans l’authenticité et l’indépendance des voix.

 

Cet article est reproduit avec l’aimable autorisation du journal Réforme
Reforme.net, n° 4098, 10 juillet 2025, p. 9.

QUELLE VOIX PROTESTANTE VOULONS-NOUS PORTER ?

Compréhension du baptême, de la Cène, lecture des Écritures… Sur ces points essentiels, les divergences entre Églises évangéliques et protestantes historiques sont profondes. Pourtant, on continue à chercher une expression commune, au risque de brouiller les repères. Comment une même voix pourrait-elle représenter à la fois ceux qui pratiquent une lecture historico-critique et ceux qui défendent une lecture fondamentaliste de la Bible?

Certaines Églises membres de la Fédération protestante de France prêchent aujourd’hui une théologie de la prospérité, bien éloignée de la centralité de la grâce qui fonde les traditions réformées et luthériennes.

Ce flou doctrinal affaiblit la lisibilité du protestantisme dans l’espace public. Dans ce contexte, la Communion protestante luthéro-réformée (CPLR) fait entendre une parole distincte. En mars, elle rappelait que les protestants ne sont pas «contre» l’avortement, soulignant la nécessité du discernement éthique. En juin, c’est sur Gaza qu’elle s’exprimait avec clarté. Peut-être est-il temps de repenser la représentation protestante, pour rendre plus audible

la voix singulière des Églises réformées et luthériennes, attachées à une foi libre, pensée et responsable.

 
 
Image de Christophe Cousinié
Christophe Cousinié
Certifié de Sciences Po Paris dans la formation « Emouma, l’amphi des religions », pasteur de l’Epudf en Cévennes et secrétaire général de l’Union protestante libérale & progressiste.
Partager cet article :

Vous venez de lire librement un article de librecroyant-e.com. Nous avons choisi l’ouverture à tous et la gratuité totale, mais ce site à un coût et il ne peut se financer que par votre don. Chaque euro contribuera au partage de ces lectures.

Vous pouvez également nous suivre sur les réseaux sociaux, via les icônes ci-dessous

S'abonner à la newsletter