Plateforme du protestantisme de liberté et de progrès
Partager cet article :

Aux « Guignols de l’info », la marionnette de Philippe Lucas – ex-entraîneur de la nageuse Laure Manaudou – répète l’expression à l’envi : « Et puis c’est tout ! » Et depuis, sous une forme ou sous une autre, elle fait florès et ce jusqu’au sommet de l’État. Alors que des journalistes l’interrogeaient sur son séjour dans une luxueuse résidence américaine, Nicolas Sarkozy répondit : « Je suis venu à Wolfeboro parce que j’ai des amis qui y viennent depuis des années. Ils ont loué une maison et nous y ont invités. Point. Il n’y a pas de polémique. » Et cette expression est devenue une des redites des discours de notre président.

Mettre un point final. D’une expression, mettre fin au tourment que nous causent nos enfants, collègues ou subordonnés… Si Dieu céda lui-même à la tentation – un bon déluge, ça leur apprendra ! – ce fut pour aussitôt revenir sur sa décision : il offrit un arc-en-ciel en gage de sa non récidive.

Savait-il à quoi l’engageait cette faiblesse pour son humanité ? Car depuis, les polémiques ne cessent plus. Entre humains, et jusqu’aux extrêmes extrémités : voir Abel et Caïn. Polémiques des humains avec Dieu lui-même : espiègles qui discutent systématiquement le choix du Patron de leur donner le titre de prophète (certes glorieux, mais pourvoyeur d’ennuis sans fin) ; Abraham négociant tête par tête le nombre minimum de justes dans Sodome pour éviter la destruction de cette ville à la réputation surfaite ; Jonas qui fuit systématiquement dans la direction opposée à celle indiquée…

La Bible – ses textes contradictoires, ses listes à trous et ses auto-citations tronquées… – est elle-même construite comme une machine à polémique sans fin.

Nous serions bien prétentieux de vouloir mettre un point final aux polémiques quand Dieu lui-même consent à polémiquer indéfiniment avec son humanité et offre même le livre spécialement fait pour ça. À cesser les débats, nous perdrions sans doute beaucoup de notre humanité, telle que voulue par Dieu. En mangeant le fruit de l’arbre de la connaissance – résultat de la première chicane autour de la phrase d’un puissant – l’homme gagna par son expulsion une existence d’être dans le temps et d’être en quête de la vérité. Bref, d’être polémique.

Une preuve de plus, s’il en était besoin, que Dieu était protestant dès le commencement. Qu’est-ce qu’un dogme catholique sinon la prétention à vouloir mettre fin à une polémique théologique ? Qu’est-ce que le protestantisme, sinon le désir de contrecarrer cette prétention et de le sublimer en créativité théologique permanente ? Grâce à ces polémiques, Dieu s’actualise sans cesse dans nos angoisses, nos réalités passagères, nos raccourcis ou nos fulgurances, faisant souffler son esprit facétieux sur notre courte humanité.

Endormis par bien des choses – l’œcuménisme, la flemme, le manque d’humour – n’avons-nous pas perdu ce divin goût pour la polémique ? L’occasion parfaite pour la relancer pourrait être qu’un puissant prétende justement tout arrêter d’un « Point. Il n’y a pas de polémique »…

Image de Stéphane Lavignotte
Stéphane Lavignotte
Diplômé de l’IEP de Bordeaux et du CFPJ, et docteur en théologie, Stéphane Lavignotte est pasteur de la Mission populaire évangélique à Montreuil (93), et militant écologiste. Il est chargé de cours à la Faculté de théologie protestante de Bruxelles. Ces derniers ouvrages André Dumas : Habiter la vie et L’écologie, champ de bataille théologique.
Partager cet article :

Vous venez de lire librement un article de librecroyant-e.com. Nous avons choisi l’ouverture à tous et la gratuité totale, mais ce site à un coût et il ne peut se financer que par votre don. Chaque euro contribuera au partage de ces lectures.

Vous pouvez également nous suivre sur les réseaux sociaux, via les icônes ci-dessous

S'abonner à la newsletter