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Philippe de Champaigne et l’ex-voto de 1662 : la grâce seule, la foi seule

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Richard Cadoux

Il y a presque 4 ans, Richard Cadoux avait écrit un « Cahier », dans le numéro 206 d’Évangile et liberté : « Port-Royal et les protestants ». Il présente ici une réflexion sur ce tableau connu de Philippe de Champaigne.

Ex-voto : tableau, objet ou inscription qu’on place dans les chapelles à la suite d’un voeu ou en remerciement d’une grâce obtenue, écrit le dictionnaire. D’où vient notre émotion devant cet instant unique de la peinture française ?

  Cette toile nous communique l’intime et intense action de grâce d’un homme, Philippe de Champaigne, qui bénit Dieu d’avoir guéri sa fille, moniale à Port-Royal de Paris depuis 1656, sous le nom de soeur Catherine de Sainte-Suzanne. Malade depuis 1660, la jeune religieuse souffre, les jambes paralysées, minée par la fièvre et par l’acharnement thérapeutique des praticiens de l’époque : trente saignées en quatorze mois ! Or le 7 janvier 1662, raconte-t-elle, « il me vint tout d’un coup en pensée de me lever et d’essayer encore à marcher. Je me levai à l’heure même sans aide […] et je commençai à marcher en m’appuyant d’abord aux meubles et aux murailles ; mais aussitôt je sentis que je marchais avec liberté ». On cria au miracle.

  Mais dans son ex-voto, Champaigne a délibérément renoncé au spectaculaire et au merveilleux. La guérison est certes relatée dans l’inscription qui fait partie intégrante du tableau, rédigée par un ami de Port-Royal. Le peintre concentre délibérément son attention sur un autre instant : la guérison avait été précédée d’une neuvaine de prière, conduite par l’autre personnage du tableau, Mère Agnès, soeur de Mère Angélique Arnauld, la réformatrice de Port-Royal. Nous sommes la veille de la guérison : « À l’issue de vêpres, la Mère Agnès s’approcha d’elle pour faire sa prière, pendant laquelle il lui vint un mouvement de confiance que cette pauvre fille serait guérie, quoiqu’elle ne l’eût pas espéré les jours précédents, et que même elle ne le demandât pas à Dieu précisément. » Champaigne a fait le choix de capter le moment favorable, l’instant où la grâce se manifeste et suscite la foi de ceux qui l’accueillent : « Il lui vint un mouvement de confiance que cette pauvre fille serait guérie. » Le peintre a saisi l’insaisissable. La grâce seule : le faisceau de lumière qui inonde la pièce illumine les êtres et les choses, portant toute réalité à son incandescence. Le bois, la paille de la chaise, les murs de chaux, la lame de parquet, les plis de la bure prennent leur pleine consistance et l’austère gris-brun de l’ensemble revêt un éclat nouveau. Tout est simple, tout est sobre, tout est pacifié. La foi seule : la lumière de la grâce vient baigner ces deux femmes aux mains jointes et aux visages éclairés de l’intérieur par une absolue confiance en Dieu.

  Il n’est donc question ici ni d’un miracle, ni de l’expérience religieuse d’une prière de demande, ni même d’un état mystique d’union à Dieu. Champaigne nous associe à une célébration de la grâce et de la foi données en Jésus. Le Christ ne peut être enfermé dans une présence matérielle (le reliquaire est relégué au rang de bel objet), seule la foi peut le reconnaître. Un seul signe est ostensible, celui de la croix, minuscule dans le reliquaire, éclatante du sang de Jésus sur le scapulaire et dans un total dénuement marqué des instruments de la passion sur le mur, qui renvoie le fidèle, ici et maintenant, à Celui que l’inscription désigne comme le « Christ, unique médecin des âmes et des corps », l’homme de Nazareth qui au paralysé déclare : « Lèvetoi et marche. »

  Philippe de Champaigne dresse ainsi un mémorial au Dieu caché en Jésus-Christ qui vient pour faire grâce, pour tout mettre en lumière et pour guérir. N’est-ce pas Auguste Sabatier qui écrivait au sujet de Jésus dans Les religions d’autorité et la religion de l’esprit (1904) : « Il n’a point recherché le titre de philosophe ou de savant docteur, mais celui de médecin. […] Son oeuvre est une thérapeutique ; c’est la santé qu’il veut rétablir dans l’être humain tout entier. Enseigner n’est pour lui qu’un moyen de guérir. » ?

On peut voir une reproduction de ce tableau en cliquant « ici www.terminartors.com/files/artworks/5/2/3/52338/Champaigne_Philippe_de-Ex_Voto.jpg

Image de Richard Cadoux
Richard Cadoux
a été professeur d’Histoire à l’Institut Catholique de Paris avant de devenir pasteur de l’Église Protestante Unie de France, d’abord en poste à Vernoux puis actuellement à Paris (Oratoire du Louvre).
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