Plateforme du protestantisme de liberté et de progrès

Pour un protestantisme libéral

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Le mot libéral n’est pas à entendre ici dans un sens économique et politique, mais bien théologique. Il désigne un protestantisme qui milite pour la liberté dans le cadre de la foi et en matière religieuse.
Be Liberal
© J. Hain / Pixabay

Le protestantisme libéral est caractérisé par des orientations novatrices et progressistes ; des orientations conservatrices, elles, marquant ce que l’on appelle l’orthodoxie. Le libéralisme représente une position qui existe dans chaque religion et dans chacune des quatre grandes confessions chrétiennes. Ainsi parle-t-on par exemple d’un judaïsme libéral ou d’un islam libéral.
Au XXe siècle, le protestant Albert Schweitzer, l’orthodoxe russe Nicolas Berdiaev, le catholique Maurice Zundel, l’évêque anglican John Spong sont des chrétiens libéraux.
Les orthodoxes veulent de manière prioritaire rester fidèles aux doctrines de leurs prédécesseurs, et cela aussi bien pour la forme que pour le fond. Ils défendent des enseignements qu’ils estiment immuables et intangibles. Une telle attitude a de très nombreux partenaires, car dans un monde frappé d’insécurités et d’ébranlements, elle rassure. Les libéraux veulent au contraire repenser pour notre temps les doctrines traditionnelles et les reformuler. Ces mises en question peuvent alors inquiéter et troubler. Les libéraux en s’opposant à une certaine théologie des antiquaires ne cherchent pas seulement à dépoussiérer un très ancien mobilier doctrinal, mais à dire notre foi dans un vocabulaire et des concepts tenant compte, tant que faire se peut, des réalités culturelles et scientifiques actuelles. Ils luttent pour un christianisme raisonnable et crédible.
Peut-on encore dire que Jésus est monté au ciel comme une fusée ? Une telle lecture, littéraliste, de la Bible relevant d’une conception du monde en trois étages (le ciel divin, la terre des vivants, les enfers) n’est plus la nôtre. Peut-on prendre au pied de la lettre les récits de la création des premiers chapitres de la Genèse ?
La dimension poétique et symbolique de ces récits reste présente là où leur dimension prétendument historique n’est pas ou plus défendable. De toute façon, les manières, bibliques ou dogmatiques, de dire les vérités religieuses n’ont en tant que telles rien de spécifiquement évangélique ou chrétien. Il ne s’agit pas alors de rendre la foi solidaire du moule culturel dans lequel elle est coulée. Une telle requête n’est d’ailleurs pas tant une exigence de la modernité que celle d’une foi recentrée sur ce qui constitue sa spécificité. Un texte biblique qui s’inscrit dans une vision du monde dépassée n’a pas pour autant une signification qui le serait aussi. Il faut voir non pas uniquement ce que le texte dit, mais bien ce qu’il veut dire et nous dire, son sens et son interpellation qui, eux, demeurent.

Un état d’esprit

Le protestantisme libéral refuse l’autoritarisme et le dogmatisme (non pas nécessairement les dogmes), tout doctrinarisme autoritaire imposant aux croyants des formulations strictes et obligatoires, des credos impératifs et exclusifs. Un pluralisme théologique ne fait d’ailleurs que répondre à celui qui règne d’abord dans la Bible. C’est la raison pour laquelle nous récusons, tout autant que l’orthodoxie en tant que telle, l’esprit d’orthodoxie qui nous menace tous. En 1938, Jean Grenier publia un livre remarquable Essai sur l’esprit d’orthodoxie. On rencontre cet état d’esprit aussi bien dans l’univers politique, qui était le champ dans lequel s’inscrivait ce livre, que théologique. Le christianisme s’est parfois tragiquement perdu dans des condamnations, voire des bûchers, et cela pour abattre de prétendues hérésies. Orthodoxes et libéraux devraient être en mesure d’adopter des positions théologiques différentes, voire opposées, sans se condamner réciproquement et s’exclure. Un esprit de libéralisme et d’ouverture peut caractériser les uns et les autres. L’exégète protestant Franz J. Leenhardt fit paraître en 1958 dans la Revue de théologie et de philosophie un bel article intitulé « Pour une orthodoxie libérale ». Lui, partisan déclaré de l’orthodoxie, militait dans ces pages pour que l’orthodoxie renonce à son autoritarisme. Les libéraux eux-mêmes n’ont-ils pas parfois succombé à cet esprit d’orthodoxie, défendant leurs options avec une intransigeance hautaine ?
La foi en Dieu est essentiellement une attitude de confiance, une relation personnelle et profonde avec la divinité. Elle n’est que secondairement un ensemble de croyances. Ces dernières ne sauraient être imposées. Elles sont humaines et par conséquent relatives et fragiles. Adhérer à une confession de foi et à ses différents articles qui essayent de dire ou même de définir Dieu et Jésus est une démarche intellectuelle et abstraite, dogmatique, mais en aucune façon la foi dans sa dimension intime et personnelle. Croire en Dieu n’est pas croire qu’il est ceci ou cela. Il faut savoir distinguer le croire en du croire que. Défendons la primauté de la foi sur les doctrines. Quand Jésus, d’après les évangiles, déclare à telle ou telle personne que sa foi l’a sauvée, il ne fait pas précéder cette affirmation de l’adhésion à un catéchisme doctrinal. Il va même jusqu’à dire : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn 13,35). C’est à l’amour et non pas à des confessions de foi ou à des dogmes, des cultes ou à des rites. L’orthopraxie et non l’orthodoxie exprime ainsi la vérité de notre foi.

Une méthode

On a longtemps reconnu qu’était libéral celui qui se réclamait d’une lecture historico-critique de la Bible et orthodoxe celui qui s’y opposait. Cette méthode, née plus particulièrement en Allemagne au XVIIIe et au XIXe siècle, cherche à retrouver le sens premier des textes qui nous sont parvenus à travers toute une histoire, à analyser leurs contextes religieux, culturels, sociaux originels, à étudier leurs rédactions successives. Aujourd’hui, cette méthode est très généralement admise et pratiquée. On reconnaît qu’il est très difficile, voire parfois impossible, de savoir ce que Jésus a véritablement dit ou fait. L’essentiel est de se rappeler que les évangiles ne sont pas ou ne prétendent pas être des biographies de Jésus, mais des confessions de foi et des témoignages.
J’aimerais dire enfin qu’il faut aussi pratiquer, et cela avec autant d’exigence, une lecture historico-critique des dogmes. Les protestants libéraux questionnent ainsi la pensée chrétienne et ses doctrines, qu’il s’agisse, par exemple, de celles faisant de Dieu un potentat sanguinaire n’acceptant de pardonner qu’à condition qu’un innocent soit condamné à mort et périsse crucifié ; qu’il s’agisse des peines… éternelles. « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur », lit-on magnifiquement dans la première Épître de Jean (1 Jn 3,20). Qu’il s’agisse de la toute-puissance d’un Dieu indifférent devant les souffrances injustes qui nous accablent. Qu’il s’agisse de…

À vous, chères lectrices et chers lecteurs, de prolonger cette liste !

Image de Laurent Gagnebin
Laurent Gagnebin
est docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l' âme ). Il a été professeur à la Faculté protestante de théologie. Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages.
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