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Pourquoi être chrétien si toutes les religions ont leur part de vérité ?

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Pierre Gisel

Toutes les religions ont une part de vérité. Et d’égarement. Liée aux circonstances, mais de fond aussi. La question pourrait du coup aussi se poser ainsi : « Pourquoi être bouddhiste, musulman ou adepte d’une nouvelle religiosité, si toutes ont leur part de vérité ? ».

Mais qu’entendre sous « vérité » en religion ? On y est en pluralité, ou en un monde de différences fortes et que je crois irréductibles. Chacune présente ses forces et ses faiblesses. À mon sens, il convient d’entrer dans la chair de chacune, non de viser ou de rejoindre une vérité qui les réunirait toutes. Selon une perspective épurée ? déshistoricisée ? de validité universelle ?

Nous sommes en histoire, inscrits dans des cultures et des socialités, en un monde strié de traces humaines, lourd de ce que des projets et des échecs y ont déposé, non sur une terre immaculée, comme en un premier matin de l’histoire. Nous sommes marqués, et c’est là que nous avons à répondre de nous-mêmes et de ce qui nous est donné, là que nous sommes provoqués, ou convoqués. C’est en outre le propre de la religion que d’être en inadéquation avec le monde, avec soi, avec ce qu’on veut ou espère. Il n’y a là de vérité que liée à du cheminement, spirituel. La manière de croire, la posture du sujet croyant et le statut de ce qui est mis en avant, y sont plus décisifs que les « contenus ».

Je plaide pour qu’on entre dans une confrontation des différences et qu’on les fasse fructifier. Sur leur rapport à la loi et à sa subversion, leurs ritualités, leurs marquages du temps et de l’espace, leurs jeux institutionnels et communautaires, leurs validations des singularités, leurs visions du séculier. La question n’y sera plus d’avoir « part à la vérité », mais de ce que vaut chaque posture et ce que je peux en ratifier, en en ayant intégré les limites et les forces spécifiques.

Chaque proposition de rite, de symbole, d’affirmation confessante, sera vue comme une manière, particulière, de prendre en charge des questions de tous. Ces manières disent une identité, mettent en avant des figures de référence, vivent d’une mémoire inscrite dans des textes et des histoires. Mais s’y condense une configuration de l’énigme humaine au creux du monde, des réalités du mal et des pulsions d’idéal. Sur un espace de médiations (c’est le propre du religieux), entre soi et ce que le soi n’est pas ni ne maîtrise. Hors tout rapport direct, tout savoir univoque, toute expérience auto-accréditante.

Ces figures, mémoires et instaurations de sens sont décisives mais on se gardera de les idolâtrer. En protestantisme, on dénonce volontiers une vénération indue de l’Église, de ses rituels et de ses sacrements. Or y prennent aussi forme de la bibliolâtrie et de la christolâtrie, ou une appropriation indue de l’Esprit.

Il y a à se laisser interroger par les autres religions. C’est même décisif, pour ne pas s’enfermer sur ses biens propres et pour mieux comprendre, approfondir et mesurer sa propre voie, ce qu’elle cristallise, avec ses promesses possibles et ses pathologies. Il n’y a pas à retrouver une origine ni à viser une fin à venir qui seraient bonnes en tant que telles, mais à travailler au cœur des réalités effectives. S’y plonger s’avérera instructif, parce que lourd d’enjeux en matière de manières d’être et de vivre. Pas de vérité hors un rapport à un réel donné, ni hors un jeu différencié avec d’autres manières de donner forme à l’humain, qu’on gagne toujours à expliciter, alors qu’on risque le pire à le laisser intouché.

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Pierre Gisel
est professeur honoraire de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne, où il a enseigné différentes disciplines jusqu’en 2012.
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