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Vincent Schmid

L’idée de prédestination est une des plus dérangeantes du christianisme. Penser que Dieu pourrait choisir sans explication ceux qui seront sauvés (et éventuellement ceux qui seront damnés) est difficilement soutenable. Vincent Schmid rappelle que ce concept a été, au temps de la Réforme, une « machine de guerre ».

  La prédestination est une théorie selon laquelle le salut de l’homme serait décidé par Dieu avant même sa naissance. C’est la lecture chrétienne qui a forgé ce terme hautement spéculatif à partir du verbe « déterminer par avance » qui apparaît (peu) dans la littérature paulinienne. Les fondements bibliques sont par ailleurs minces et discutables.

  Saint Augustin a développé ce thème lors de sa controverse avec le moine Pélage. Son souci était de préserver la prééminence de la grâce divine sur les mérites humains.

  La prédestination est un thème périlleux pour la pensée chrétienne. Poussée à l’extrême, elle entre en conflit avec la liberté humaine et l’universalité de la promesse divine.

  Calvin de son côté a inventé la double prédestination, selon laquelle « Dieu élit en son conseil secret ceux que bon lui semble en rejetant les autres ». C’est une lecture délibérément surchargée de la notion d’élection. Alors que la Torah met l’accent sur la responsabilité d’un peuple chargé de répercuter à l’ensemble de l’humanité le message universel du Dieu unique, Calvin force le trait en établissant un clivage entre sauvés et réprouvés, tout en reconnaissant que cela conduit à un « labyrinthe incompréhensible ».

  Le réformateur voulait par là fonder que le salut n’a qu’une seule source, Dieu. Le salut n’est en aucun cas le résultat d’une coopération entre l’homme et Dieu. Seul compte le secret admirable de Dieu, expression de sa transcendance impénétrable. Il porte aux élus un amour gratuit qui ne s’explique pas. Dieu aime parce qu’il aime, il réprouve parce qu’il réprouve, il choisit parce qu’il choisit. C’est sa décision souveraine, inaccessible à l’intelligence humaine.

  Pour comprendre, il faut rappeler que la double prédestination est une machine de guerre dirigée à la fois contre l’Église catholique et contre l’optimisme du courant humaniste. Elle apparaît aujourd’hui datée car liée aux conflits du XVIe siècle. Dans les faits, elle s’est révélée une arme idéologique efficace et nullement désespérante, puisque le fidèle calviniste a la certitude d’appartenir aux élus.

  Reste à savoir si la prédestination, simple ou double, peut encore être prêchée de nos jours, comme c’est le cas dans certains cercles ultra-calvinistes, en Hollande ou aux États-Unis. La réponse est clairement non, pour deux raisons. La première est que la Bible magnifie la liberté. Israël voit dans le motif de la sortie d’Égypte la marque du divin. La Loi qu’il reçoit au désert consacre l’accès de l’homme à la liberté, puisque qui dit Loi dit responsabilité. Selon un proverbe hassidique : « Il faut que chaque jour un homme sorte de l’Égypte. »

  La figure de Jésus se situe dans la même ligne. Il est celui qui guérit les malades, fait voir les aveugles, fait revivre les morts, pardonne aux pécheurs et délivre l’homme de ses servitudes intérieures. Il incarne la liberté jusqu’au don volontaire de sa propre vie.

  La deuxième est que l’intuition finale de l’apôtre Paul reste celle du salut universel. Comme l’a démontré Alain Badiou dans des pages pénétrantes, « l’enfer, la rôtissoire des ennemis, n’intéresse pas Paul […] Pour lui, il est capital de déclarer que je ne suis justifié que dans l’exacte mesure où tous le sont ». (Saint Paul, la Fondation de l’Universalisme, 1997).

  Il faut abandonner la prédestination au profit de la vocation.

  On peut admettre que certains se sentent mystérieusement « appelés » à être des signes pour les autres, de la même façon que dans le Premier Testament un peuple particulier se sent « appelé » à vivre l’universel qui lui arrive comme une grâce particulière. Ce qui ne crée aucun privilège.

  De même certains ont conscience de la dimension de profondeur de la vie et d’autres non. Ce qui pourrait se traduire par : certains ont la foi et d’autres non. Nulle partition ici entre « sauvés » et « perdus ». Je pense plutôt à une sorte d’éveil, d’élargissement de la conscience, celui du regard spécial du peintre qui peint pour le regard des autres.

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Vincent Schmid
est pasteur dans l’Église protestante de Genève.
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