La question de la mission de l’Église au sein de la société se pose en termes aigus : après la Grande Guerre, Karl Barth avait entrepris de mettre en garde l’Église contre toute complaisance avec les autorités et contre les tentations mortifères des discours nationalistes qui détournent de l’Évangile. Cette mise en garde, réactivée à l’aube d’une seconde guerre, sans sauver tout à fait l’honneur des protestants, amènera les Églises d’Europe à fonder spirituellement leur résistance au totalitarisme d’un Führer devenu Verführer (séducteur).
La protestation barthienne sera donc théologique avant d’être politique. Le christianisme a deux options face au politique. Soit il se traduit en Église comme institution et doctrine, au risque du discrédit de son catéchisme dans le débat public, quand il n’est plus en phase. Soit il se construit comme contre-modèle, critique et prophétique, engagé dans la contingence du grand débat sociétal, au risque d’une course à l’adaptation sans fin et de l’abandon de sa pertinence.
Le rapport du christianisme à l’extrême droite en Europe illustre cette tension : soit la recherche d’une posture politique d’accommodation et de compréhension, soit l’audace de se placer telle une sentinelle spirituelle qui alerte les croyants des catastrophes à venir. La prise de conscience de la fragilité de nos systèmes et de notre démocratie elle-même n’empêche pas de laisser de plus en plus de place à des discours populistes auxquels même les plus vigilants se laissent prendre.
Espérons que les discours et les ricanements des parleurs du Front national n’auront pas l’écho que certains observateurs prédisent et que nous n’aurons pas honte de nos choix lors de la présidentielle qui s’annonce.
Formons le vœu que l’on ne dira jamais que l’extrême droite est le premier courant de pensée de notre pays et méditons ces mots du pasteur Roland de Pury en 1944 : « l’Église, maquis du monde, n’a pas pour objet de prendre le pouvoir mais d’organiser la résistance en attendant le grand débarquement du royaume. »