Il y a de quoi ne pas aimer le mot « renier ». Il est lourdement chargé d’un poids négatif. On trouve son sens premier dans un contexte religieux, il signifie l’abandon de la foi, ou l’abjuration d’une religion. Renier, c’est cesser d’être fidèle à une personne ou à une idée.
Renier est une action qui engendre de la souffrance, que ce soit pour la personne reniée qui se sent trahie, ou pour celle qui renie qui découvre la blessure intérieure de la culpabilité. Renier quelqu’un laisse un goût amer, dans la bouche comme dans le cœur, et fait découvrir une solitude intérieure dévastatrice, admirablement exprimée, par exemple, dans la musique des « Passions », de Jean Sébastien Bach. À la suite du reniement de Pierre, quelques notes chromatiques descendantes, proches de la dissonance, nous font prendre conscience de la profondeur du désespoir du disciple. Renier quelqu’un nous fait découvrir la part ténébreuse de notre être : une faiblesse personnelle alors qu’on se croyait fort, une violence sous-jacente manifestée par une attitude hostile alors qu’on se croyait doux. C’est aussi la révélation d’une peur qui entraîne le refus de l’autre alors que l’autre, justement, comptait sur notre soutien.
Tous ces reniements peuvent être réparés dans la prise de conscience, par la reconnaissance de la situation et par la demande de pardon envers autrui. Mais le plus dévastateur, parce que le plus difficile à surmonter, c’est se renier soi-même. Notre être intérieur se dissout alors dans le néant. Et pourtant, le Christ demande à celui qui le suit de se renier lui-même. En le suivant, on renonce à être tout seul ce qu’on est, ou ce qu’on croit être, pour accueillir avec lui qui on est vraiment.
