Rémunérer les fonctionnaires au mérite ? Cette proposition me laisse perplexe. Quand ce sont seulement ses diplômes, la nature de son emploi et son ancienneté qui déterminent le salaire de quelqu’un, on n’encourage guère la bonne volonté, l’implication personnelle dans le travail, l’efficacité et la conscience professionnelle. C’est dommage ; que le paresseux et le négligent gagnent autant que le consciencieux est contre-productif. Pourtant, la prise en compte du mérite, qui à première vue parait juste et souhaitable, pose deux questions probablement insolubles.
D’abord, comment apprécier le mérite ? Celui qui bouscule les habitudes est-il un perturbateur à sanctionner ou un innovateur à encourager ? Un handicapé au travail médiocre et lent n’a-t-il pas plus de mérite que le surdoué en bonne santé qui s’en tire bien mieux ?
Ensuite, qui décidera du mérite de tel ou tel ? Ne va-t-on pas favoriser le clientélisme, augmenter le favoritisme, ouvrir la porte à des pressions indues et développer les luttes de clan ? N’est-on pas en train de rétablir, sous une autre appellation, la fameuse « cote d’amour » qui autrefois faussait concours et avancements ?
La Réforme a voulu éliminer le salut par les « mérites ». Sans confondre le domaine du spirituel et celui du temporel que ne régissent pas les mêmes logiques (les luthériens le soulignent fortement), on peut se demander si dans les deux cas, le recours au mérite, en cherchant une plus grande justice, n’introduit pas d’immenses injustices.