Des alertes il y en a eu…
La question clef est celle du gel du collège électoral.
« Ne touchez pas au gel du corps électoral », disaient les indépendantistes kanaks. « C’est un acquis définitif de l’accord de Nouméa ».
Pour nous juristes, « cet accord nous lie toujours, puisque nous continuons à contester la validité du 3° référendum organisé en pleine épidémie de Covid et en période de deuil kanak. Et quoi qu’il en soit, cet accord prévoyait son irréversibilité, tant qu’un nouvel accord n’intervenait pas ».
Des manifestations totalement pacifiques
Le mouvement indépendantiste, à travers la Cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT) a organisé dans Nouméa la blanche les plus grandes manifestations jamais organisées par les Kanaks dans cette ville. Des manifestations totalement pacifiques. Avec à la main pour les manifestants « le Guide du manifestant » élaboré par… le Syndicat de la magistrature…
Pendant cette période de montée des tensions, Mme Sonia Backes, ex-Secrétaire d’État chargée de la citoyenneté menaçait le Gouvernement a jeté de l’huile sur le feu et menaçait lors d’une manifestation : « on va foutre le bordel » dixit. Sous-entendu si nous n’obtenons pas le dégel du corps électoral.
Pourtant, les deux chambres, Assemblée nationale et Sénat, malgré ces multiples mises en garde ont voté le dégel… Et le soir même, la Calédonie a explosé.
Onze Kanaks tués
Les quartiers populaires, les squats de Nouméa la blanche, la riche, se sont soulevés, des incendies, des pillages, des Kanaks, souvent des jeunes, ont été tués, qui par les forces de l’ordre, qui par les milices. 11 au total. Mais la presse ne dit jamais qu’il s’agit de Kanaks. Deux membres des forces de l’ordre sont décédés, dont l’un par accident avec sa propre arme.
Assignés immédiatement à résidence par l’autorité administrative, les responsables de la CCAT n’ont rien pu faire pour empêcher incendies et pillages. Ils sont aujourd’hui accusés de les avoir incités, provoqués, accompagnés, ce qu’ils contestent avec la plus grande énergie.
Un transfert, le jour même et leur dispersion dans plusieurs prisons de France
Arrêtés, mis en garde à vue pendant 96 heures, menottés la nuit le bras en l’air attaché au mur, elles et ils ont été amenés devant le Juge de la détention et des libertés qui les a mis en détention préventive et a ordonné, à la surprise générale, leur transfert le jour même et leur dispersion dans plusieurs prisons de France. Le transfert s’est déroulé dans des conditions inhumaines et dégradantes : menottés pendant les 30 heures de voyage, y compris pour aller aux toilettes, porte restant ouverte, attachés à leur siège, le reste du temps, interdiction de communiquer entre eux. Fouillés à corps à l’arrivée dans leur prison. « Nous avons vécu un cauchemar » diront les deux « mamans ».
Quelques jours après, j’intervenais avec mes confrères devant la Cour d’appel de Nouméa et nous dénoncions ces conditions inhumaines de transfert. La Cour remettait les « mamans » en liberté avec assignation à résidence sous bracelet électronique. Aujourd’hui nous avons demandé leur remise en liberté sous contrôle judiciaire. Les garçons, des « papas » sont toujours en détention.
Sur place, en Calédonie ou en France, les familles s’organisent pour venir en aide à ces sept prisonniers, les visiter, subvenir à leurs besoins, notamment pour leur permettre de téléphoner depuis leur prison, à leur famille, leurs enfants, au pays. Les communications sont très, très chères. Un soutien financier s’organise. La collecte du culte du dimanche 6 octobre au Lazaret leur a été dédiée. Des familles françaises s’engagent à verser tous les mois une petite somme que l’AISDPK, (Association information et soutien aux droits du peuple kanak) cette association ancienne s’est engagée à collecter et à distribuer les dons.
Première victoire juridique : la semaine dernière la juge d’instruction de Nouméa a décidé de remettre en liberté deux détenus dont Joël Tjibaou (fils de Jean Marie Tjibaou), incarcéré à Nouméa. Le Procureur a immédiatement fait appel, bloquant ainsi cette remise en liberté. Ironie du sort : pendant ce même temps, le propre frère de Joël, Emmanuel Tjibaou, député, était convié par le ministre d’Outre-Mer en visite sur place à des réunions de concertation sur l’avenir du Territoire…
Pour un statut d’État associé.
Un dernier mot. Dans sa résolution N° 1514 de 1960, l’Assemblée générale des Nations Unies a énoncé qu’il fallait en terminer avec le colonialisme et que les « Puissances administrantes » (un mot élégant pour parler de l’État colonial) ne devaient pas utiliser la répression contre un peuple qui cherche à se décoloniser. Depuis 1986 la Nouvelle Calédonie est inscrite par les Nations Unies sur la liste des Pays à décoloniser.
En 1985, après la terrible embuscade de Waan Yaat à Tiendanite, ayant coûté la vie à neuf membres de la tribu de Jean Marie Tjibaou, dont deux de ses frères (voir et revoir le film Waan Yaat Sur une terre de la République française), Edgar Pisani, envoyé par le Président François Mitterrand, a proposé d’instaurer en Nouvelle Calédonie un statut d’État associé. Les « indépendantistes » ont tout de suite accepté, tandis que les « loyalistes » l’ont refusé.
L’histoire bégaye. Combien de morts kanaks faudra-t-il encore pour qu’un tel statut soit mis en œuvre ?
Les protestants impliqués
Depuis longtemps nos Églises protestantes sont impliquées en Nouvelle Calédonie, notamment au côté de L’Église protestante (EENC), indépendantiste. Le Président Jacques Stewart a fait partie de la Mission de dialogue initiée par Michel Rocard après le drame d’Ouvéa en 1988.
Un drame de plus…
François Roux, avocat