On connait la blague qui appelle « chrétiens à roulettes » ceux qui vont à l’église trois fois dans leur vie (en landau pour leur baptême ; en voiture pour leur mariage, et en corbillard pour leur enterrement). Les actes pastoraux semblent parfois le dernier lieu possible d’un contact avec une communauté de foi. Faut-il s’en lamenter ? La fonction d’une religion comme institution sociale n’est-elle pas notamment d’accompagner des temps de transitions en y injectant des éléments qui lui sont propres : inscription dans un tissu social, ritualité, rapport à la transcendance, recherche de sens ? Ces dimensions ont de l’importance même pour celles et ceux qui ne font pas de la spiritualité un enjeu essentiel. Si pour beaucoup de personnes distanciées de la religion les actes pastoraux sont le dernier point de contact, pour d’autres, plus distancées encore, ils seront peut-être le premier point de contact.
Comme pasteure, il m’est arrivé plusieurs fois de ne baptiser que l’ainé.e d’une fratrie, et pas les suivants. Comme si pour le premier, on faisait tout « dans les règles », et pour les autres, on n’a plus le temps.
À moins qu’on n’en ait plus besoin parce qu’au fond, le rituel n’est pas d’abord vécu par les jeunes parents comme un moment qui inscrit leur enfant dans une nouvelle identité (d’enfant de Dieu), mais bien comme une façon de célébrer leur entrée à eux dans une nouvelle identité, celle du devenir parents.
Parmi les motivations plus ou moins explicites d’une demande de baptême, il y a parfois une sorte de recherche de légitimité. Les couples de même sexe qui demandent le baptême pour leur enfant connaissent ce biais de l’institution : on va les soupçonner d’instrumentaliser le baptême, comme si dès que des homosexuels s’adressent à l’église, c’était pour obtenir, par la bande, une approbation, une sorte de permission d’être homosexuels.
On oublie de se poser la question pour les parents hétérosexuels, puisqu’on ne les soupçonne pas, eux, d’entrisme. Et pourtant, les motivations de se sentir légitime peuvent aussi être très présentes chez eux.
Mais parce que Dieu aime sans condition, le besoin d’être légitime n’est pas un obstacle à son amour. Au contraire, peut-être.
Et pour étayer le propos, rien de tel que de retourner au récit de la rencontre entre Philippe et l’eunuque (Actes 8, 26-40). Celui qui vient de loin, celui qui vient de dehors, des marges, et qui demande :
« Qu’est-ce qui m’empêche d’être baptisé ? » n’est-il pas, au fond, fort semblable à tant de nos contemporains ? L’histoire de l’eunuque sur le chemin offre une perspective porteuse de sens et d’engagement, non seulement pour ceux qui peuvent s’identifier à lui, mais surtout pour ceux qui doivent les accueillir.
Car au fond, pas un instant, Philippe n’a la mauvaise idée de répondre « ah mais en fait, tu veux être baptisé parce que c’est à l’agenda du lobby des eunuques ! ». Non, il entend la demande et la foi vibrante qui la sous-tend.
C’est peut-être la simplicité à laquelle il nous faut revenir : partir du principe que s’il y a une demande d’acte pastoral, c’est parce qu’il y a un désir de relation avec Dieu, profond, même si parfois mal exprimé et encombré par des expériences difficiles. Profond. Et que rien n’empêche.