TEXTE BIBLIQUE
« Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Egypte j’ai appelé mon fils. Ceux qui les appelaient, ils s’en sont écartés : c’est aux baals qu’ils ont sacrifié et c’est à des idoles taillées qu’ils ont brûlé des offrandes. C’est pourtant moi qui avait appris à marcher à Ephraïm, le prenant par le bras, mais ils n’ont pas reconnu que je les guérissais. Je les menais avec des liens d’humanité, avec des cordages d’amour. J’étais pour eux comme une mère qui soulève son petit contre sa joue et je lui tendais de quoi se nourrir. (…) Comment te traiterais-je Ephraïm, te livrerai-je Israël ? (…) Mon coeur est boule-versé en moi, ma pitié s’est émue. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne reviendrai pas détruire Ephraïm, car je suis Dieu, je suis saint au milieu de toi et non pas mâle. Au milieu de toi je suis saint, je ne viendrai pas avec rage. Ils suivront l’Éternel, qui rugira comme un lion. »
(Osée 11, 1-4 et 8-10)
Dieu n’est peut-être pas mâle, mais il est presqu’exclusivement dit, représenté et pensé comme masculin. Or si on parle de Dieu au masculin, notre cerveau est ainsi fait qu’inévitablement il se le représente mâle. Cela lui demande un effort conscient et répété de se rappeler que Dieu n’est pas genré. Diversifier nos manières de parler de Dieu aide notre cerveau à se rappeler qu’il n’est pas seulement mâle, ni femelle, ni quoi que ce soit d’autre, tant Dieu échappe à toutes nos représentations et à tous nos mots. N’utiliser que des mots et des images masculines pour parler de Dieu représente un double danger : théologique et anthropologique.
Danger théologique d’abord : si nous ne parlons de Dieu qu’au masculin, nous l’enfermons dans un certain type de représentations, nous en faisons une idole. C’est ce qui arrive aux contemporain.es de l’auteur de ce passage du livre d’Osée qui se sont manifestement fait une image de Dieu exclusivement guerrière. Et comme dans cette société les guerriers sont des hommes, un Dieu guerrier est masculin. Osée, prophète parlant au nom de Dieu, propose une autre représentation et un tout autre mode d’action divine que celui attendu d’un Dieu guerrier : une action qui accompagne la croissance, qui guérit, qui prend soin, qui nourrit, qui encourage. Dans la société de l’époque, ce type d’action est plutôt rattaché à la sphère féminine. Mon propos ici n’est pas d’essentialiser une nature masculine ni une nature féminine : de même que la guerre n’est pas réservée aux hommes, le soin n’est pas réservé aux femmes, bien que beaucoup de sociétés aient ainsi réparti les tâches. Il s’agit par contre de retenir que, face à une représentation unique de Dieu qui vire à l’idolâtrie, Osée a l’audace de proposer une représentation qui bouscule.
En proposant cette image différente, Osée invite ses contemporain. es à briser l’idole qu’ils et elles se sont faits.tes de Dieu, pour pouvoir le rencontrer vraiment. En osant introduire une autre représentation de Dieu, Osée donne à vivre à nouveau la rencontre avec le Dieu qui a rencontré Moïse au buisson ardent : celui qui se présente comme « eyé asher eyé » et qui a pour nom YHWH. Ce n’est ni un prénom masculin, ni un prénom féminin, c’est un nom devenu imprononçable, comme pour échapper à toute appropriation.
C’est le nom du Dieu de la création qui, ayant dit « faisons l’humain à notre image » (au singulier) les crée (au pluriel) mâle et femelle. L’hébreu procède volontiers par énumérations totalisantes. Par exemple, l’expression « la terre et le ciel » désigne toute la création. De même ici « mâle et femelle » désigne toute la vie, et plus précisément, toute la vie capable de créer du neuf. Ce verset nous dit donc que Dieu crée l’humanité diverse, capable de créer du neuf. Il nous dit aussi que Dieu lui-même est la source de cette diversité féconde, et même qu’il est lui-même pluralité féconde ! C’est ce que dit, autrement, l’image beaucoup plus tardive de la Trinité : la pluralité et le mouvement de rencontre créative à l’intérieur même de Dieu.
Diversifier les images, les manières de parler de Dieu, sortir du masculin quasi exclusif, ce n’est donc pas juste pour le plaisir de complexifier, mais pour mieux dire quelque chose de Dieu.
Il y a danger anthropologique aussi à ne parler de Dieu qu’au masculin. À n’utiliser presque que des représentations masculines pour Dieu (ou que des représentations de personnes blanches), on pose insidieusement le masculin au-dessus du féminin (ou le blanc au-dessus des autres couleurs de peau). C’est pourquoi prendre le temps de réfléchir à nos représentations de Dieu est important. Il est de notre responsabilité de nous assurer tant que possible que nos manières de parler de Dieu n’alimentent pas les systèmes de domination ni ne les justifient. Cela demande un effort : celui de modifier nos habitudes et nos automatismes.
Parler de Dieu au masculin, ce n’est pas « mal » ni « faux » en soi… pour autant que ce ne soit pas la seule manière que nous ayons d’en parler. La Bible nous montre l’exemple en utilisant une large palette d’images, parfois à quelques versets d’intervalle comme ici, où l’image du lion rugissant succède à celle de la personne qui prend soin. Qui est Dieu, et comment le nommer ? Ce sont des questions sans fin, et c’est tant mieux : elles nous gardent en marche et en réflexion. Parler de Dieu est la tâche la plus difficile et la plus nécessaire qui soit. Il ne s’agit pas de trouver le ou les mots parfaits pour parler de Dieu, car aucun mot ne le contient.
Il s’agit d’avoir conscience du caractère limité de nos mots pour dire Dieu et, en même temps, du caractère performatif de certaines de nos manières de parler et de pratiquer sur nos manières d’agir les un.es envers les autres.