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Un seul Dieu, plusieurs ou pas du tout ?

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L'oeil de la providence, témoin silencieux de l'ordre divin de l'univers
L'oeil de la providence, témoin silencieux de l'ordre divin de l'univers / Pixabay

Aux débuts de l’humanité, y avait-il une seule sorte de religion ou plusieurs, et y adorait-on un seul dieu ou plusieurs ?

Culturellement programmés par leur lecture de la Genèse, les Européens qui se sont posés la question à l’aube des temps modernes sont presque toujours partis de l’idée qu’il n’y avait au départ qu’un seul couple, donc une seule langue, une seule religion, etc. Les milieux créationnistes qui souscrivent à la doctrine de l’inerrance biblique continuent évidemment à le prétendre imperturbablement, comme si le texte de la Bible avait été dicté par Dieu au mot à mot, et sans tenir compte de son aspect à la fois très humain et très daté.

Un monothéisme initial ?

En 1912, le Père Wilhelm Schmidt fit grand bruit dans les milieux spécialisés avec sa thèse du monothéisme primitif. Selon lui, les peuplades les plus ancestrales auraient professé la croyance en un Être suprême et se seraient distinguées par une haute morale et des mariages monogames. C’est ensuite seulement que, dans un processus de dépravation, des peuples considérés comme primitifs en seraient venus à adorer plusieurs dieux (polythéisme) et à adopter des mœurs critiquables du point de vue de la morale catholique. Le catholicisme romain, dans cette perspective, avec son monothéisme de base, serait un retour au monothéisme primitif voulu de Dieu et fondé par lui.

En bon soldat du Vatican de l’époque, le P. Schmidt a soutenu cette thèse imperturbablement jusqu’à sa mort en 1954, mais elle n’a bien sûr pas fait d’émules. S’il faut parler de divinités, mais tous ne le font pas, les spécialistes dans ce domaine aux multiples facettes parleraient plutôt d’un polythéisme initial, ou mieux encore de variantes diverses du polythéisme. Les uns adorent ou vénèrent plusieurs dieux et sont effectivement polythéistes, passant de l’un à l’autre au gré des besoins ou des circonstances. D’autres admettent l’existence de divers dieux, mais n’en adorent effectivement qu’un seul et sont donc hénothéistes. Il y a enfin ceux, monothéistes, pour qui Dieu seul est véritablement dieu, et les autres divinités de faux dieux.

Des monothéismes en compétition

Pour postuler l’existence d’un seul Dieu, il faut qu’il soit transcendant, unique, omnipotent, omniscient et omniprésent. C’est ce que postulent les religions dites abrahamiques, c’est-à-dire le judaïsme, le christianisme et l’islam, mais aussi le zoroastrisme, le culte d’Aton, le sikhisme, ou plus récemment le bahaïsme et le déisme (qui est une idée philosophique plus qu’une religion). Toutes sont apparues à des moments plus ou moins repérables dans l’histoire. C’est évidemment le cas de celle qui nous intéresse plus particulièrement : le christianisme. Comment, alors, le situer par rapport aux autres religions, voire aux autres monothéismes ?

On peut partir de l’idée que ces autres religions sont fausses et que leur dieu l’est aussi, mais c’est refuser d’emblée tout dialogue ou toute confrontation. Sur la lancée du complexe de supériorité dont se sont nourris les Européens à l’ère des colonialismes en se croyant destinés à diffuser leurs lumières sur l’ensemble de la planète, des théologiens en sont venus à postuler que les autres religions ne sont pas fausses à proprement parler, mais qu’elles ne sont pas aussi abouties que l’est le christianisme. Auguste Sabatier (1839-1901) nous a laissé à cet égard, dans son Esquisse d’une philosophie de la religion (1897) une page dont le lyrisme enchanta ses coreligionnaires protestants :
« De quelques bords qu’on pénètre dans l’histoire des religions, et en quelque sens qu’on la parcoure, on voit toutes les routes, montant lentement des vallées obscures, se rapprocher les unes des autres et tendre au christianisme, comme à un autre Mont-Blanc, dernière et lumineuse cime, d’où l’ordre et la lumière se répandent sur tout le reste. Ou bien l’évolution religieuse n’a ni sens ni but, ou bien il faut reconnaître qu’elle vient aboutir à l’Évangile du Christ comme à son terme
suprême. »

Sabatier reste un des grands représentants de la théologie protestante, en particulier par sa critique des religions d’autorité. Mais sur ce chapitre-là, il faut bien l’admettre, sa manière de situer le christianisme par rapport aux autres religions, fussent-elles les plus monothéistes, laisse par trop l’impression de n’avoir été en 1897 qu’un astucieux prélude protestant à la théorie développée en 1912 par le P. Schmidt, mais adaptée en l’occurrence aux exigences d’une perspective évolutionniste. Les autres religions monothéistes pourraient somme toutes soutenir des argumentations toutes semblables, mais en leur faveur. C’est par exemple ce que fait l’islam quand il postule que les deux autres « religions du livre », le judaïsme et le christianisme, sont en réalité des déformations de la religion voulue de Dieu de toute éternité. Et c’est encore ce que fait le bahaïsme en se situant comme une étape de plus – et de mieux ! – après celles du judaïsme, du christianisme et de l’islam (raison pour laquelle l’islam le réprime impitoyablement à la différence du judaïsme et du christianisme qui, historiquement, l’ont précédé et dont il tolère la présence sur ses terres).

Une religion « absolue » ?
– c’est à voir !

Les monothéismes seraient-ils alors et malgré tout le nec plus ultra en matière de religion ? Tous nos contemporains n’en sont pas persuadés, en particulier dans le monde occidental. C’est évidemment le cas des athées, une autre version de théisme, encore qu’on doive toujours se demander à leur propos s’ils sont bien « sans dieu ». Auguste Sabatier, encore lui, pensait pouvoir répondre à cette question en ces termes : « Un homme qui se dit athée ne l’est jamais qu’à l’égard du dieu des autres. Il nie le dieu de son curé ou de son pasteur, celui de son enfance ou de ses voisins ; mais regardez-y de plus près, il en a un autre, le sien, caché au fond de son âme, qu’il adore sous un nom particulier et auquel il s’offre chaque jour en sacrifice. » Les raisons sur lesquelles bien des athées fondent leur athéisme, par exemple leur évocation de l’objectivité scientifique, peuvent souvent faire penser à cette remarque de Sabatier.

D’allure plus folklorique, on voit surgir de temps à autre chez des représentants autoproclamés de l’élite intellectuelle l’idée qu’un polythéisme résolument assumé peut s’avérer plus judicieux qu’un strict monothéisme : il conviendrait mieux à la diversité des états d’âme et des situations vécues. Mais comment ne pas penser, alors, à une sorte de supermarché du champ religieux où chacun viendrait se servir à sa convenance, quitte après usage à abandonner ce premier choix pour un autre – pour une autre « divinité » mise au service des caprices humains ?

Les monothéismes, à cet égard, peuvent légitimement se prévaloir d’une certaine supériorité, au moins sous l’angle qualitatif. Mais l’un d’entre eux devrait-il être considéré comme « la religion absolue »
ainsi que l’ont revendiqué pour lui plusieurs théologiens protestants du XIXe siècle
finissant ? Quelle prétention !
Aujourd’hui, nous la suspecterions volontiers de relents de colonialisme.

Aussi Ernst Troeltsch (1865-1923) a-t-il eu raison, en 1902, de rejeter cette « absoluité »,
comme si le christianisme était la religion en comparaison de laquelle toutes les autres seraient relatives et par conséquent secondaires. Nous devons bien l’admettre : considéré sous l’angle de la religion, notre christianisme n’est qu’une religion parmi d’autres, quitte à confesser avec Sabatier : « Je puis bien n’être pas religieux ; mais si je veux l’être, je ne puis l’être sérieusement que sous la forme chrétienne. » l

Image de Bernard Reymond
Bernard Reymond
né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.
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