Je suis allée pour la première fois en Arménie en avril 2015. Même si je m’étais documentée sur le pays, je n’avais aucune idée de ce que j’allais découvrir. La réalité a dépassé la fiction. Ce pays et ses habitants forcent l’admiration. Ils tiennent debout en dépit de tout et de tous.
De tout, parce que le climat y est continental, chaud et aride en été, froid et enneigé en hiver. Il est soumis aux tremblements de terre. Par exemple, celui de décembre 1988 a détruit près de 60 % de la ville de Gumri, tuant plus de 50 000 personnes. Des traces restent visibles aujourd’hui : la moitié de la ville est encore en ruines. Depuis 27 ans, près de 4 000 familles sont dans une situation précaire, attendant d’être relogées. Elles vivent dans des maisons provisoires, les « domik » devenues peu à peu définitives.
De tous, parce que ce pays fut la convoitise de ses voisins : les anciens empires ottoman et russe, puis l’ancienne URSS, dont elle fut un des États, et l’ancien empire perse. Indépendante depuis 1991 seulement, suite à l’effondrement du régime communiste soviétique, l’Arménie s’exerce doucement à la démocratie républicaine et à la paix, même si un cessez-le-feu vieux de 20 ans est encore parfois violé entre les Azéris et le Haut-Karabagh.
La religion pratiquée en Arménie est considérée comme la plus ancienne du christianisme. L’Église apostolique arménienne est une Église orientale, orthodoxe, grégorienne et autocéphale. Elle revendique son titre d’« apostolique », en faisant remonter ses origines aux apôtres Thaddée, disciple du Christ, et Barthélémy. Elle devint la religion officielle du Royaume d’Arménie en 301, lorsque le roi Tiridate IV se convertit par le témoignage et l’exemple de saint Grégoire l’Illuminateur. De nombreuses églises et autant de monastères embellissent le paysage arménien. L’architecture est sobre et symbolique. Le bâtiment est carré, avec en son centre une ouverture vers le haut, à travers laquelle on peut voir le ciel. La symbolique est la suivante : il n’y a aucun obstacle entre Dieu et le croyant, qui peut recevoir « directement » sa grâce. Il y a encore une estrade en pierre, qui accueille un autel de taille modeste, derrière lequel se trouve un rideau. Quand le prêtre officie, il se met d’abord lui-même en règle pour ses péchés, par la prière, le rideau fermé, seul avec Dieu. Pardonné, il ouvre le rideau, descend rejoindre les fidèles, qu’il accompagne dans leur demande de pardon. Lorsque l’office est fini, les fidèles quittent l’église à reculons pour signifier que personne ne tourne le dos à la grâce de Dieu. On sort aussi à reculons lorsqu’on visite une église et qu’il n’y a pas d’office. Ce geste est ancien et sa signification est aujourd’hui souvent ignorée mais il reste ancré dans les traditions, à tel point que les non croyants l’adoptent.
À l’intérieur des églises, il n’y a pas d’icônes, ou très peu, mais les murs sont ornés du Katchkar, une sorte de stèle, dont la hauteur peut varier entre 1,50 et 2 mètres, le plus souvent rectangulaire ; elle est décorée d’une ou de plusieurs croix sculptées, avec des ornements représentant soit des figures humaines soit des inscriptions, d’une précision incroyablement fine. Elles incarnent la christologie de l’Église apostolique arménienne avec un arbre de vie : ce qui importe n’est pas la mort du Christ, mais sa résurrection, ou sa nature divine. C’est une spécificité de l’art arménien, autrefois présente sur tout le territoire et préservée actuellement en Arménie et au Haut-Karabagh.
Au XIXe siècle une autre Église chrétienne a vu le jour : l’Église évangélique arménienne. Issue de l’activité des missionnaires protestants, cette Église se définit par un retour à la Bible, mettant l’accent sur le salut par grâce en Jésus-Christ, la nécessité de la nouvelle naissance, la repentance et l’obéissance aux paroles de l’Évangile, conduisant à la profession de foi personnelle. La Bible, traduite de l’arménien classique en langue moderne, fut ainsi rendue accessible à tout le peuple. Combattus par les autorités religieuses de l’époque, les partisans de la Réforme furent excommuniés sur décision du Patriarche de l’Église apostolique arménienne de Constantinople. Contraints par la loi ottomane de se constituer en Église séparée, ils s’exécutent, créant, le 1er juillet 1846, l’Église évangélique arménienne. À la veille du génocide de 1915, cette Église comptait plus de 51 000 membres. En 1920, il ne restait plus que 14 000 membres. Ceux-ci, contraints à l’exil, ont alors constitué de nouvelles Églises dans la plupart des pays d’accueil. Cette Église est actuellement très minoritaire en Arménie, mais en dialogue avec l’Église apostolique.
D’autres minorités religieuses existent en Arménie. Les Yézidis sont environ 80 000 ; ils sont pour la plupart éleveurs. On les rencontre en été sur les pentes supérieures du mont Aragats, où ils emmènent paître leurs bêtes, vivant plusieurs mois sous la tente. Leur culte n’est ni chrétien ni musulman, mais solaire, proche des Zoroastriens, et plonge ses racines dans l’Iran ancien. À Erevan, les musulmans peuvent se retrouver à la « Mosquée Bleue », construite en 1765-1766 sous le règne du Khan d’Erevan, Hussein Ali. Transformée en planétarium sous le régime soviétique, elle a retrouvé aujourd’hui sa fonction d’origine et est principalement fréquentée par les Iraniens voisins. À Erevan, on compte aussi une minorité juive d’environ 1 000 personnes, ainsi qu’une minorité catholique romaine, principalement à Gumri, admirablement représentée aujourd’hui par une communauté de sœurs.
Une amitié très ancienne unit la France et l’Arménie et des voyages culturels, humanitaires et œcuméniques y sont régulièrement organisés.