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Dossier : Nouvelle-Calédonie, quel avenir ?

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Drapeau de la Nouvelle-Calédonie

Nicolas Metzdorf (député « loyaliste ») sur les réseaux sociaux le 25 Janvier 2025 :

« Concernant le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), notre message à l’Etat est limpide : le prochain accord doit respecter le résultat référendaire, aucune négociation ne se fera avec la  Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), nous ne serons plus dupes quant à la volonté d’hégémonie des indépendantistes sur nos institutions et la Nouvelle Calédonie. Ainsi le projet que nous portons est clair : la fédération territoriale renforcée où chacun pourra diriger là où sa population est majoritaire avec le modèle de société qui lui convient (…) En clair notre résistance est totale. Elle est politique, elle ne se voit peut-être pas suffisamment mais elle existe ». Et sa publication se termine par la photo d’une banderole « Ici, c’est chez nous ».

Comment en est-on arrivé là ?

Par une succession d’aveuglements, d’hubris, de la « puissance administrante » (au sens du Droit International), la France, et disons-le clairement de son Président. N’est-ce pas le Président Macron qui, contre l’avis de son Premier Ministre Édouard Philippe, décide en 2021 de maintenir le 3° référendum prévu par l’Accord de Nouméa, tandis que la Nouvelle Calédonie, épargnée jusque-là plonge dans l’épidémie de Covid et tout particulièrement la population kanak ?

Christian Apotheloz Les Kanaks ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays. Carte ancienne Nouvelle Calédonie DR

Les Kanaks boycotteront pacifiquement ce référendum pour se consacrer à leurs « coutumes de deuil ». Seuls 43, 87 % des inscrits se rendront au vote et 96,50 % de ces votants voteront contre l’indépendance. Le soir le Président Macron déclarera : « Ce soir la France est plus belle avec la Nouvelle Calédonie ».

Et Mme Backes, la présidente « loyaliste » de la riche Province Sud déclarera « les rêves tristes d’indépendance (…)  se sont brisés sur nos âmes de pionniers »… Quelques jours plus tard elle sera nommée par le Président Macron, Secrétaire d’Etat à la citoyenneté…

Un affront de plus au peuple colonisé, qui depuis lors continue à contester ce 3° référendum, notamment devant les instances des Nations Unies et particulièrement le Comité de Décolonisation dit « C24 ». Le ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, mais aussi Mme Backes, s’y rendront quant à eux, à plusieurs reprises en 2023 et 2024 pour tenter de « rassurer » les états qui le composent. Une fonctionnaire française sera même détachée au  Secrétariat de ce Comité. 

Mais qui le sait ? Qui en parle ?

Rappelons :

  • que la Nouvelle Calédonie est inscrite depuis 1986 par les Nations Unies, sur la liste des pays à décoloniser ;
  • que l’Assemblée Générale a dit dès le 14 décembre 1960 dans sa Résolution 1514 qu’il fallait mettre un terme à la colonisation ;
  • qu’elle a ajouté dans une nouvelle Résolution 2621 de 1970 « le droit inhérent de tous les peuples colonisés de lutter par tous les moyens nécessaires (surligné par nos soins) contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance » ;
  • que le préambule de l’Accord de Nouméa de 1998 mentionnait :

« Les Kanaks ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays, ce qui ne pouvait, chez un peuple fier et non dépourvu de traditions guerrières, que provoquer des révoltes, lesquelles ont suscité des répressions violentes, aggravant encore les ressentiments et les incompréhensions. »

Malgré ces textes parfaitement clairs, le Président de la République franchira un pas de plus en décidant de « dégeler » le corps électoral « gelé » par l’Accord de Nouméa et constitutionnalisé ainsi par Jacques Chirac en 2007. Rendre une fois de plus le peuple kanak minoritaire dans son propre pays pour contrer toute velléité d’indépendance comme l’avait théorisé en son temps l’ancien Premier Ministre Messmer.

Christian Apotheloz Me François Roux, avocat infatigable des droits humains et des droits des peuples © Apothéloz

De grandes manifestations pacifiques seront organisées par les indépendantistes et leur « Cellule de coordination des actions de terrain » (CCAT), les plus grandes jamais menées dans « Nouméa la Blanche ». En parallèle les anti-indépendantistes organiseront des contre-manifestations et Mme Backes déclarera publiquement « si on ne nous écoute pas à Paris, c’est nous qui allons mettre le bordel ». Sous-entendu, si le corps électoral n’est pas dégelé.

13 mai 2024 : dégel du corps électoral

Elle sera entendue, et malgré toutes les alertes des indépendantistes et de leurs soutiens, les deux assemblées voteront le 13 mai 2024 le dégel du corps électoral, rendant ainsi les indépendantistes minoritaires dans leur propre pays pour des années. La nuit même la situation explosera dans les émeutes que l’on connaît.

Des incendies, des pillages, un déchaînement de violence contre les signes de la richesse de Nouméa la blanche, richesse à laquelle tant de jeunes Kanaks des quartiers déshérités n’ont pas accès. 14 morts disent les autorités et la presse, sans jamais dire que 12 sont des Kanaks, une fois encore, et deux, des gendarmes, dont un s’est mortellement blessé avec son arme.

Les dirigeants de la CCAT seront assignés à résidence dans une grande violence. Leurs domiciles seront fouillés, perquisitionnés, les téléphones et ordinateurs saisis. Quelques temps après, avec la même violence, elles et ils seront arrêtés, placés en garde à vue pour 96 heures par la section anti-terroriste venue spécialement de Paris, attachés au mur le bras en l’air la nuit, puis amenés devant le juge de la détention et des libertés qui leur signifiera, sans qu’aucun débat n’ait eu lieu sur ce point, qu’ils sont placés en détention en métropole à Dijon, Riom, Mulhouse, Villefranche-sur-Saône, Nevers, Bourges et Blois. Stupéfaction des militants et de leurs avocats.

Interdiction de parler à leurs familles qui attendaient à l’extérieur. Ils seront embarqués sans ménagement dans un avion militaire prépositionné (depuis quand ?), maintenus sanglés à leur siège et menottés pendant les plus de 30 heures de vol, y compris pour aller aux toilettes, porte ouverte… et toujours interdiction de se parler. Un cauchemar témoigneront-ils. 

Appelé au secours par le père d’une des prisonnières « tu m’as défendu il y a 40 ans (affaire d’Ouvéa), je te demande de défendre ma fille », je me suis immédiatement réinscrit au Barreau et j’ai pris la route pour la prison de Dijon, où j’ai trouvé cette jeune « maman » à l’isolement total et en état de choc. J’ai appelé Christian Krieger (Président de la Fédération Protestante de France) en lui demandant d’envoyer immédiatement un aumônier à chaque prisonnier, puis j’ai pris l’avion pour Nouméa, afin de plaider devant la Chambre d’appel de Nouméa le 3 juillet. Avec les consœurs et les confrères à la tâche pendant tous ces événementsj nous avons tenté d’inverser cette situation. Nous serons suivis pour les « mamans » que la Chambre remettra en liberté avec assignation à résidence, bracelet électronique, et obligation de « pointer » tous les jours à la gendarmerie…

Que force revienne au Droit international de la décolonisation

Plusieurs mois plus tard nous obtiendrons la levée du bracelet électronique et quelque assouplissement mais toujours interdiction pour ces mamans de rentrer au Pays retrouver leurs enfants. Les « papas » sont quant à eux toujours en prison depuis cette date… Les membres de la CCAT avaient été traités de « voyous et de mafieux » par les représentants de l’État sur place. C’est incontestablement cette situation qui a convaincu le 28 janvier 2025, la Cour de Cassation, que nous avions saisie, de « dépayser » le dossier pénal et le confier à des juges d’instruction de Paris.

Il faut maintenant que s’ouvrent des discussions politiques et institutionnelles pour reprendre le chemin tracé par l’Accord de Nouméa, que tous les prisonniers soient libérés, et que force revienne au Droit international de la décolonisation.

La devise de l’Union Calédonienne, le plus vieux parti indépendantiste, créé par des protestants est toujours : « deux couleurs, un seul peuple ». Qu’attend-t-on ?

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Image de François Roux
François Roux
est avocat au Barreau de Montpellier. Engagé dans de nombreuses causes concernant les Droits de l’Homme, la non-violence et l’écologie. Il est aussi connu pour défendre des personnalités engagées.
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